14.11.08

Critique de livre - Supplément socialiste au livre de la jungle




« Un beau soir l'avenir s'appelle le passé.
C'est alors qu'on se tourne et qu'on voit sa jeunesse . »




Aurélie Marcireau, Supplément socialiste au livre de la jungle, Edition Perrin, septembre 2008.

C'est avec talent qu'Aurélie Marcireau nous narre l'ascension contrariée – pour l'instant - de la jeune garde socialiste. Cette immersion au coeur du Parti socialiste se révèle instructive ; elle est le récit d'une génération empêchée. Cette histoire inachevée tient dans cette confidence rapportée par l'auteur: « Je suis comme un champignon qui tarde à éclore, pourtant je suis dans le paysage depuis longtemps »...

Ils ont entre quarante et cinquante ans, ont assumé pour la plupart des responsabilités importantes durant les années du gouvernement de Lionel Jospin et se sont frottés à plusieurs reprises déjà au suffrage universel, connaissant aussi bien la victoire que la défaite. De ce parcours, ils en tirent une force, une ambition. Mais ils demeurent toujours en quête de respectabilité et de reconnaissance, tenant désormais pour acquis que leur jeunesse ne peut plus sérieusement se voir opposée l'argument de l'inexpérience ou du manque d'épaisseur.

Et pourtant, talentueux, actifs à défaut d'être résolus, ils demeurent empêchés. Mais empêchés par qui et par quoi au juste ?

Sans doute d'abord par eux-mêmes, car si une génération ne fait pas spontanément une association cohérente d'idées ou un projet commun, il ne semble pas pour autant exister entre ces aspirants de divergences majeures. Tous ont en commun ou presque, d'assumer une vision réformiste du socialisme, où se conjuguent le combat pour une égalité réelle, la recherche de l'efficacité économique, l'impératif écologique, et l'affirmation de nouvelles libertés et droits individuels. Ils sont la génération en somme de la nouvelle déclaration de principes du Parti socialiste. Ils ont en commun ce socle, et pourtant ils ne se trouvent pas, ou ne s'associent que pour un temps court sans réelle volonté d'avancer ensemble. Au gré des circonstances, comme pour se tester, se jauger, mais jamais pour porter ensemble la rénovation.

Aurélie Marcireau raconte bien plus qu'une simple guerre des égos car cette génération vaut bien mieux que ce raccourci facile. Bien sûr il y a dans l'impossibilité à bâtir ensemble un projet l'obstacle premier des ambitions personnelles et dévorantes, mais il n'est pas à lui seul une explication.

Si ces électrons libres ne parviennent pas durablement à s'agréger, c'est aussi paradoxalement, qu'ils sont en quelque sorte coincés au milieu du gué. Longtemps dociles, ils ne veulent plus aujourd'hui travailler dans l'ombre de leurs aînés et refusent autant qu'ils le peuvent, les figures tutélaires trop pesantes. Réalistes, ils savent pour l'éprouver chaque jour la difficulté d'exister par soi-même et échouent ou hésitent à s'imposer aux militants et aux pays. Autrement dit, ils sont trop expérimentés pour être seconds et pas encore mûrs pour assumer totalement un leadership.

Etrange génération qui, nantie, a tôt goûté au pouvoir et se trouve aujourd'hui frustrée, comme piégée, ne se résolvant pas à demeurer dans une opposition éternelle.

Etrange génération qui a certainement plus d'idées en commun et plus de cohérence que ses devancières mais qui ne parvient pour autant ni à vouloir ni à trouver son expression propre.

Etrange génération enfin, qui veut se démarquer et choisit pourtant d'assumer jusque dans ses mots le legs des anciens, jusqu'à recourir au vocabulaire bestiaire pour se définir. Ils sont jeunes lions comme d'autres avant eux étaient gazelles ou éléphants.

Au coeur de la faune socialiste, il est au moins pour cette génération une raison d'espérer et de croire à nouveau qu'ils pourront travailler ensemble ; contrairement au tigre, le lion est un animal social.



Retrouvez cette critique dans le prochain numéro d'Esprit critique (n°87) sur le site de la Fondation Jean-Jaurès.

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