1.2.08

Entretien avec Bruno Le Maire

Jeudi après-midi, j'ai pu m'entretenir pendant une heure à l'Assemblée avec Bruno Le Maire, ancien directeur de cabinet de Dominique de Villepin à Matignon, aujourd'hui député de l'Eure. J'avais sollicité cet échange afin de pouvoir compléter la critique que je m'apprêtais à rédiger sur son dernier livre "Des hommes d'Etat".Cette discussion fera l'objet d'un podcast vidéo sur le site de la Fondation d'ici quelques jours.
Au-delà des commentaires portant sur le contenu du livre, Bruno Le Maire m'a semblé partager le mal être d'une bonne partie de la droite française. La droite que j'appelle "humaniste" a visiblement du mal avec le sarkosysme clinquant, avec ses atteintes à la laïcité, avec une politique étrangère fondée sur la simple défense d'intérêts économiques...Bruno Le Maire, fort malicieusement, a insisté sur le "boulevard idéologique" qui existait selon lui pour une gauche réformiste, tournée vers l'innovation, l'Europe et la mondialisation. Je commençais tout juste à lui dire qu'il existait à gauche des militants qui oeuvraient en ce sens quand, il choisit lui de me demander des nouvelles de Ségolène Royal...la seule à "incarner" selon ses propres mots...


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CRITIQUE

Bruno Le Maire, Des hommes d'Etat, Grasset, décembre 2007, 450 p.



Entre le 1er janvier 2005 et le 6 mai 2007, Bruno Le Maire occupait une place de choix pour observer le pouvoir. Il était en son centre. Plus justement en son épicentre. De là, il a pu consigner ce qu'il voyait du pouvoir, ce qu'il vivait au pouvoir. Le diplomate devenu conseiller puis directeur de cabinet du Premier Ministre signe, après Le Ministre, publié en 2004, un second livre particulièrement soigné. A lire ce recueil de notes c'est bien cela qui frappe d'abord, le soin porté aux mots, l'élégance du style. Comme pour Le Ministre, il est agréable de lire Bruno Le Maire.

Ces flagorneries faites, venons-en au texte, aux indiscrétions, au croustillant, à la matière en somme !

Au fond, avec Des hommes d'Etat, nous sont livrées trois grandes réflexions sur le pouvoir actuel. La première a trait au rapport au temps et à l'action. La seconde porte sur le fonctionnement de l'Etat. La troisième enfin, s'interroge sur la manière de vivre le pouvoir, de vivre dans cette « jungle de sentiments confus, parfois sincères, parfois troubles, qui animent les hommes de pouvoir », comme l'écrit Bruno Le Maire.

Le rapport au temps et à l'action, d'abord. Les portraits de Nicolas Sarkozy, de Dominique de Villepin, de Jacques Chirac, sont des portraits en mouvement, en action, en dialogues. On n'y lit donc des tempéraments, des envies, des convictions. On comprend aussi et surtout que le pouvoir est d'abord une question de rapport au temps. Une question de ryhtme, de tempo. Et sur ce point, aucune des trois personnalités n'a vraiment la même philosophie. Aucune n'a les mêmes contraintes. Il y a l'aspirant pressé et tout entier tourné vers son graal, qui est moins gouvernemental qu'électoral. Il y a le grand serviteur de l'Etat habité par le souci de l'Histoire et les rêves de grandeur. Il y enfin, le Président en fin de mandat, habitué du pouvoir, et finalement fatigué par lui. Au final, trois rythmes parfaitement asynchroniques.

Le fonctionnement de l'Etat ensuite. Le livre permet de comprendre comment s'organisent et se prennent les décisions majeures. C’est tant mieux car on n'entre que rarement dans la « fabrique à décisions » qu'est Matignon. Cette maison des arbitrages et des mécontentements quotidiens. Au coeur du dispositif, le directeur de cabinet du Premier Ministre décide, imagine, protège. Voilà comment Bruno Le Maire conçoit et présente sa mission auprès du Chef du gouvernement. L'imagination au pouvoir (le clin d'oeil valait le coup d'être tenté) demeure sans doute la tâche la plus ardue. La machine gouvernementale ne tolère pas de répit, laisse peu de temps à l'anticipation, à l'innovation politique. Le « Dircab' » comme son Premier Ministre sont pris dans un rythme effréné, entièrement absorbés par la conduite des affaires de l’Etat. Le pouvoir, surtout à Matignon, est une course contre le temps. Il est une autarcie aussi. Un endroit d'où, comme l'écrit Le Maire, l'on n'a « plus d'accès immédiat aux paroles et aux commentaires » mais finalement qu'à « des retranscriptions maladroites et certainement infidèles de la réalité ».

La « jungle des sentiments », enfin. Sans doute y-a t-il là, dans le jeu des caractères et l'affrontement des sensibilités, la manière la plus croustillante de lire l'ensemble du livre. L'humain que diable! L'humain! Car si l'Etat est un « monstre froid » comme le pensait Nietzsche, le pouvoir, on l'oublie parfois, est lui une affaire humaine. Une affaire d'égos, de rivalités, de désirs qui se heurtant, se renforçant, se coalisant, finissent toujours ou presque par se combattre. Dans ce jeu à trois, Dominique de villepin a objectivement le moins d'atouts en main ou le plus d'obstacles à franchir, au choix. Cela tient en huit mots : il est le Premier ministre de Jacques Chirac. Dans son rôle de protecteur, Bruno Le Maire excelle. Il ne saurait l'abandonner au moment d'écrire ses notes. Il défend, il protège, il explique. Le Premier ministre a été empêché. Parce qu'il était Premier Ministre d'abord. Parce qu'il y avait Jacques Chirac ensuite. Parce qu'enfin, il existait une plus grande ambition face à lui. Nicolas Sarkozy était cette ambition, cette ambition de tous les instants, ostensible, dans le texte, dans le geste. Partout, tout le temps, Nicolas Sarkozy est à sa cause. L'action gouvernementale est un promontoire donnant sur l'Elysée et le Premier ministre, un concurrent comme un autre.

Bruno Le Maire le dit d'emblée, il ne prétend pas à l'impartialité. Tant mieux, on ne l'aurait pas cru. Un politique n'est jamais un auteur comme un autre, car il est prisonnier de fidélités anciennes autant que d'ambitions futures. Bruno Le Maire était hier directeur de cabinet du Premier ministre, il est aujourd'hui Député de la majorité. Partial donc, forcément partial, ce livre n'en demeure pas moins passionnant sur le fond et remarquablement écrit dans la forme.

Là, chacun verra le pouvoir en face.

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