9.5.07

Une certaine idée de la gauche


Critique de livre
Une certaine idée de la gauche (1936-1997), Gilles Martinet, Ed. Odile Jacob, septembre 1997.


« Une lucidité nouvelle »

« La pensée politique est une pensée opérationnelle. Le discours vise moins à la connaissance qu’à l’action. Il demeure, sans doute, essentiel d’appréhender la réalité mais, pour agir il faut aussi la simplifier et donc la déformer. (…) or, dans une situation aussi nouvelle, et incertaine que celle que nous connaissons aujourd’hui, c’est bien de la lucidité dont nous avons le plus besoin. ». Ce discours conserve aujourd’hui une résonance somme toute singulière ; ces mots écrits en 1997, font sens à l’heure de la refondation. Le rapport à la réalité, à l’action, le besoin de lucidité, la part irréductible de rêves, d’émotion ; c’est une certaine idée de la gauche qui se dévoile, et même une haute idée de son message que donne à voir Gilles Martinet. La mémoire du socialisme français narrée sous cette plume alerte, traversée par ce regard averti, c’est à la fois la connaissance fine du passé et l’invitation à y puiser une lucidité nouvelle. Autrement dit, une lecture particulièrement utile par « gros temps », utile pour retrouver un cap.

Le portrait brossé par Gilles Martinet est d’abord celui d’une gauche qui gouverne, d’une confrontation récurrente à l’exercice du pouvoir. Il s’est bien agi, toujours, d’une confrontation, car le passage de la gauche au pouvoir suppose transformation. Il ne peut se faire sans adaptation, sans un travail sur elle-même, sans une part de renoncement parfois, sans un supplément de lucidité souvent. Ces passages au pouvoir ne sont pas des reniements, il y aurait là une facilité de lecture abusive, mais c’est un fait avéré, ils furent l’occasion des plus fortes inflexions. C’est au pouvoir, que la gauche socialiste s’est le plus transformée. C’est à l’exercice des responsabilités, dans l’action, qu’elle s’est à chaque fois révélée. 1936, 1954, 1981, 1984, 1988, 1997, les grandes inclinations doctrinales de la gauche socialiste, c’est en quelque sorte la conduite des affaires qui les a rendues inéluctables.

L’histoire socialiste décrite par Gilles Martinet, c’est la re-visitation d’une histoire faite de « totems » et de tabous, structurés autour d’un mythe originel et atemporel, la révolution. Les « totems » tout d’abord ; ce sont l’antifascisme, le pacifisme, l’anti-libéralisme, l’interventionnisme. Il faut ici entendre par « totems », l’ensemble des repères cognitifs qui ont crée sur le temps long, une culture socialiste partagée et qui, aujourd’hui encore, continuent d’imprimer leurs marques, à des degrés divers, sur le socialisme français. Les tabous ensuite ; ce sont sur des plans différents, selon les époques, le colonialisme, le jacobinisme, le capitalisme et l’Europe. L’ouvrage de Gilles Martinet démontre, expériences gouvernementales et illustrations de réformes à l’appui, dans quelle mesure l’exercice du pouvoir a permis un dépassement des tabous et un questionnement des « totems ». Ce qui pénalise les socialistes, écrit l’ancien secrétaire général de l’Union de la gauche socialiste, « c’est l’absence d’une analyse critique des années où ils étaient au pouvoir ». Or, le pouvoir est une confrontation au réel, une confrontation dont les socialistes n’ont pas à rougir, loin s’en faut, mais dont ils ne savent tirer pleinement avantage. Sans doute, parce que ces années de gouvernement, ils ne veulent « ni les désavouer ni s’en réclamer, sauf pour ce qui est de leur partie sociale : la retraite à soixante ans, la cinquième semaine de congés payés, les lois Auroux ».
L’équation socialiste, la tension entre doxa et praxis a trouvé, dans l’exercice même du pouvoir, à se résoudre sans jamais ou presque se clarifier. En économie par exemple, on a préféré, souvent, « la victoire du pragmatisme bien davantage que celle du modernisme ».
Au final, on le comprend, c’est avec en tête Une certaine idée de la gauche que Gilles Martinet a toujours guidé son action militante, mené les plus grands combats de la gauche. Dans le mouvement communiste, dans la Résistance, à l’Observateur ou au cabinet de Michel Rocard, l’action de Gilles Martinet s’est inscrite dans une longue tradition réformiste autour d’une idée forte, d’une idée directrice : le besoin de modernité, l’attente suscitée, nécessite en contrepartie de la gauche socialiste une réelle aptitude au changement, plus précisément, une capacité à intégrer les changements qui l’entourent. « La pensée politique est une pensée opérationnelle ».

Relire les expériences du Front populaire. S’arrêter sur l’idée de « révolution constructive », sur les travaux des nouveaux saint-simoniens. Revenir sur le rationalisme social de Mendès-France. Comprendre les recherches et les novations de la « nouvelle gauche ». Saisir les tensions traversant le PSU, les « deux cultures » du Parti socialiste. Appréhender la mécanique et le rôle du programme commun. Apprendre finalement beaucoup du comportement de la gauche au pouvoir.
Voilà ce à quoi nous invitait dès 1997 Gilles Martinet avec au cœur, une certaine idée de la gauche. Et l’on se dit alors qu’il est des lectures particulièrement utiles en période de refondation.
Publié dans la News des livres de la Fondation Jean Jaurès, mai 2007.

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