28.12.06

La France invisible

Je proposerai chaque mois une critique d'ouvrage, publiée parallèlement dans la News des livres de la Fondation Jean Jaurès. Deux objectifs avoués: être lu et ouvrir la discussion. Un espoir : donner envie de lire l'ouvrage critiqué.
Ce mois-ci, j'ai lu une passionnante investigation sociale : La France invisible.
Ou quand toute une partie de Français n'attend qu'une chose : qu'on appuie sur "l'interrupteur" pour sortir de l'invisibilité.


Dans l’œuvre monumentale que constitue son Journal, Julien Green écrivit que « le grand pêché du monde moderne, c'est le refus de l'invisible ». Les auteurs de La France invisible, sociologues, journalistes, historiens assument pleinement ce « sacrilège ». Ils entendent révéler, à travers une série d’enquêtes et de portraits, une réalité très largement oubliée des statistiques. Ambitieux défi que celui qui consiste à vouloir sortir de l’ombre, des parcours de vies qui, déviant des trajectoires traditionnelles, ont fini par être difficilement appréhendables. Pis encore la vie insaisissable de ces individus, les chemins de traverse qu’ils empruntent les condamnent à ne plus être « répertoriés » par la puissance publique. A l’heure du ciblage des politiques sociales par catégories d’individus, toute une frange de la population souffrirait du mal le plus pernicieux qui soit : l’invisibilité. Or on ne soigne pas des maux que l’on ne nomme pas, pas plus qu’on ne peut s’attaquer aux situations qu’on ne voit pas.

L’ouvrage dirigé collectivement par Stéphane Beaud, Joseph Confavreux et Jade Lindgaard propose une démarche louable et fait émerger tout un « continent de notre société ». Il parvient ni plus ni moins à démontrer que les filtres servant aux actions de politique sociale sont le plus souvent inopérants. On est tenté de s’écrier ici que le projet n’est pas neuf et que la puissance publique subit depuis maintes années maintenant les assauts de tous bords sur le seul argument de l’inadaptation des outils notamment statistiques aux réalités complexes d’une société atomisée. Mais le projet de La France invisible dépasse l’unique critique comptable et la dénonciation de la place du « chiffre » dans la décision publique. Il fait apparaître une société dans laquelle les solidarités de classe n’ont pas totalement disparu mais ont été refondues. Elles se sont réorganisées autour de nouveaux enjeux : avoir ou pas un emploi, avoir ou pas un logement, avoir ou pas un handicap, avoir ou pas accès aux transports, etc… Les portraits d’invisibles, les récits, les entretiens réalisés auprès de publics variés, offrent au final une vision utile à tous les acteurs du champ social et interrogent la conduite des politiques publiques. Partir des réalités sociales et adapter les éléments de réponse en permanence. Il s’agit de rectifier le tir !

En re-découvrant cette France-la, on entre de plain pied dans la vie de femmes et d’hommes aux destins torturés, et l’on prend la mesure de situations humaines et individuelles d’une extrême gravité. Les questions surgissent et prennent corps au fur et à mesure des portraits et des vies que l’on nous donne à voir. Qui sont ces personnes étrangères au logiciel des politiques publiques telles qu’elles sont conçues aujourd’hui dans le champ social ? Quelles formes revêt l’invisibilité ? Quelles en sont les racines ?

Plus largement, c’est la question de l’inscription à l’agenda politique de problèmes nouveaux qui est posée. A partir de quand, par quel processus, une réalité sociale devient une statistique, puis un problème clairement identifié et enfin un problème politique qu’une politique publique spécifique vient prendre en considération ? On touche là au vrai intérêt du travail réalisé dans La France Invisible car il n’y est pas seulement décrit l’invisibilité et les différentes réalités qu’elle recouvre, on y démonte les rouages d’une machinerie plus lourde qui crée véritablement de l’invisibilité de manière systémique.
Première étape dans ce « désossage » en règle : la part prise par les sociologues. Les invisibles ne correspondent pas à une catégorie sociale homogène. Dès lors, ils sont pour la sociologie française, des « angles morts ». Ce premier non-dit des sociologues provient aussi, selon Stéphane Beaud, d’une « réticence à aborder les problèmes sociaux du moment », d’une « défiance à l’égard des sujets les plus chauds socialement et politiquement » et d’une « fascination pour les petits objets qui conservent un fort accent d’étrangeté ou d’exotisme ».
Deuxième source d’invisibilité pointé du doigt : le droit. Celui-ci ne vient bien souvent, comme l’écrit Danièle Lochak, qu’ « en redoublement de l’expérience courante : il ne se saisit pas de ce qui est inconcevable pour l’entendement commun ».
Mais la construction de l’invisibilité, car c’est bien d’un construit qu’il s’agit et non d’une situation découlant d’une situation sociale spécifique, est un processus – une spirale négative - qui engage plusieurs acteurs. L’ouvrage a comme principale vertu de fournir une analyse précise des rôles de chacun. Il fournit les clefs d’explication de l’invisibilité après avoir montré sa réalité : l’attitude parfois rétives des politiques face aux idées neuves, le difficile décompte statistique de réalités individuelles éclatées et mouvantes, le traitement médiatique déformant, la délicate adéquation entre réalités sociales et croyances politiques et idéologiques, les discours contradictoires sur les classes moyennes ou encore la faible reconnaissance du travail social.

La France invisible est une contribution importante dans la perspective de 2007. Lisez cet ouvrage comme un véritable travail d’investigation sociale, comme la mise en mots nécessaire de réalités mal connues.
De là à y découvrir une France invisible…
La News des livres de la fondation Jean jaurès est téléchargeable sur le site :

22.12.06

Joyeuses fêtes à tous !

Cette année, dans la lettre préparée par la main gauche d'Ambidextre, bizarrement, très peu de place pour la politique, tout juste une allusion au détour d'une phase, histoire de "tester" le débonnaire père noël.
Quel politique tout de même quand on y songe, ce père noël ; chaque année des promesses, chaque année la même barbe, chaque année le même veston rouge, et chaque année on se fait avoir de bonne grâce.
Le père noël ferait à coup sûr un candidat redoutable ! Populaire, fédérateur, constant, mesuré... c'est décidé, moi en décembre, je vote "papa noël" !