24.9.09

L'exemple Condorcet


Condorcet, Elisabeth et Robert Badinter, 740 pages, éd. Fayard.

L'histoire de Condorcet est faite de plusieurs vies qui racontées par les époux Badinter deviennent une épopée. Et pourtant rien n'est de trop dans cette très belle biographie consacrée au grand philosophe des Lumières. Mathématicien, encyclopédiste, député, révolutionnaire, il fut ce héraut sans faiblesse, résolu, courageux, de la Raison triomphante. Plus qu'un messager, il fut le message même des lumières ; il vécut en homme libre, souvent en précurseur, combattit toutes les formes d'oppressions ou de discriminations, défendit les femmes, lutta contre l'esclavage, promut la laïcité.


Sans faillir, il démontra sa vie durant qu'il croyait avant toute chose en l'homme, être doué de raison. En cela, son rationalisme était d'abord un humanisme. Formidable héros de la République que ce Condorcet ! Il est de ces figures qui, par leur conduite et leur constance, ont sauvé la Révolution et son message.


Mieux instruits, donc plus libres, les hommes vivront mieux. Magnifiquement restituée par Elisabeth et Robert Badinter, la vie de Condorcet est un combat inachevé. En faveur de l'instruction publique, de la capacité de chacun à s'améliorer, un hymne au génie humain, aux forces de l'intelligence. Condorcet, c'est révolutionnaire.

21.9.09

Les tabous de la police - Esprit critique

Mohamed Douhane, Les tabous de la police, itinéraire d'un flic français, édition Bourin, 225 p, 19 euros.



Par Nicolas Vignolles
Revue électronique Esprit critique, Fondation Jean-Jaurès, septembre 2009.

Lettre rouges sur fond noir, on allait voir ce qu'on allait voir. Avec « les tabous de la police », l'auteur Mohamed Douhane, commandant de police, expérimenté, membre du syndicat Synergie-Officiers, souhaitait nous apporter une meilleure connaissance de la police nationale, nous livrer un regard renouvelé sur cette institution. Au final, on y lira un discours sur la sécurité qui n'a rien d'original, une analyse dominée par une approche excessivement répressive de la sécurité, aboutissant à des propositions dangereuses et lacunaires. On y lira moins une analyse personnelle, le portrait d'un policier, l'itinéraire singulier d'un flic du XXIème siècle que l'argumentaire classique de l'officier Synergie. Une charge idéologique, cohérente mais au final peu convaincante. Datée.

Mohamed Douhane souhaitait dans cet ouvrage donner sa vision de la sécurité, loin des propos théoriques et des analyses sorties des « salons parisiens ». Son objectif est de rétablir une vérité, que la presse déforme régulièrement ; « certains articles de presse excellent dans l'analyse, la plupart émanent d'experts autoproclamés, souvent aveuglés par leurs préjugés idéologiques et n'ayant aucune expérience de terrain ». Pour Douhane, il faut rétablir le flic français dans la vérité de son quotidien, restituer la difficulté de ses missions, mais aussi montrer les changements de la société et donc des formes d'insécurités et délinquance. L'objectif était intéressant, mais la cible n'est ici clairement pas atteinte. Que lisons-nous une fois dépassés les développements autobiographiques des premières pages ? Tout autre chose que ce qui était annoncé en introduction. Vous savez un peu comme ces copies d'étudiants – mais si tout le monde en a rédigées ou lues -, dans lesquelles l'introduction, léchée, ambitieuse, agrémentée d'une belle citation, ne sert en fait qu'à dissimuler temporairement la faiblesse des développements à venir...

« Culture de l' excuse », « démission des parents », « vidéoprotection », « discrimination positive », « statistiques ethniques », « polygamie », « haine anti-flic », « racisme anti-blancs », « bandes ethniques », « culture du résultat » ; en matière de sécurité, comme pour de nombreuses autres politiques publiques, les mots et les expressions utilisées sont souvent des marqueurs assez fiables d'une ligne idéologique ! On notera par exemple le glissement sémantique habile de « vidéo-surveillance » vers « vidéoprotection »... Les sujets auxquels s'attaque dans ce livre Mohamed Douhane sont les bons, et si l'on peut évidemment partager par moment certains de ses constats, il est difficile de croire en l'efficacité des solutions qu'il propose. Comment partager par exemple son admiration non feinte pour la politique d'incarcération massive pratiquée aux Etat-Unis depuis quelques années ? Ecole de la récidive, la prison, surtout en France, n'est pas une solution efficace contre l'insécurité. Nécessaire, elle doit rester le dernier recours et non pas un levier d'action prioritaire. Il est aisé mais erroné de faire croire que les sociétés les plus dures dans la sanction pénale sont aussi les plus sûres.

Il manque dans ce livre, qui présente de manière avantageuse la politique conduite par Nicolas Sarkozy place Beauvau, une articulation cohérente entre ce qui relève du constat et ce qui a trait aux solutions. La réponse proposée est souvent en contradiction flagrante avec un diagnostic par ailleurs lucide de la situation. Sur deux thèmes au moins, la vidéosurveillance et la lutte contre les bandes dangereuses, cette contradiction est évidente.

Sur la vidéosurveillance, Mohamed Douhane est très clair. Il souhaite sa généralisation. Mais au-delà même des problèmes d'encadrement et de contrôle, cette réponse dans l'air du temps, est-elle une solution efficace pour prévenir et faire baisser la délinquance ? La vidéo-surveillance est-elle une priorité lorsqu'on se fixe l'efficacité comme horizon de son action ? Assurément non. Depuis maintenant une quinzaine d'années, des nombreux travaux de recherche, notamment menés par des criminologues britanniques, ont démontré que la vidéosurveillance n’a pas d’effets dissuasifs concernant les infractions les plus graves commises contre les personnes (homicides, viols, agressions, etc.) ou les infractions commises avec violence contre des biens (attaques à main armée, etc.). Toutes les enquêtes publiées en Grande-Bretagne dressent le même constat ; les comportements de nature impulsive (liés à la consommation d’alcool ou de drogues par exemple) sont imprévisibles ; quant aux délinquants « professionnels », ils ont pris en compte depuis fort longtemps l’existence de dispositifs d’alarme et/ou de détection dans leur plan d’action. L’an dernier, en matière d’élucidation, un haut fonctionnaire du Home Office (Mike Neville) faisait la déclaration suivante lors d’un colloque international consacré à la sécurité : « Des milliards de livres ont été dépensés, mais personne n’a pensé à réfléchir à la façon dont la Police et la Justice devaient utiliser ces images. C’est un fiasco total : seuls 3% des crimes et des délits ont été résolus grâce à la vidéosurveillance. »1
Et puis comment ne pas voir de contradiction lorsque Mohamed Douhane prône la surveillance dans les rues mais s'insurge contre le recours possible à la vidéo lors des interrogatoires réalisés dans les locaux de la police nationale ?


Sur la question de la lutte contre la délinquance, là encore, si l'on peut partager une partie de l'analyse du policier de terrain, on reste pour le moins dubitatif quant aux propositions du syndicaliste policier. Parmi les 25 propositions figurant en fin de livre, citons par exemple : réhabiliter la loi anticasseurs, instaurer le principe de la double peine pour les personnes condamnées pour des faits de violences urbaines, développer la surveillance et l'intervention aérienne (drones, hélicoptères), généraliser la dotation d'arme non létale (pistolet Taser)... A chacune de ces propositions correspond dans l'ouvrage la dénonciation d'une situation qui devrait conduire l'auteur à privilégier précisément une approche opposée ! Comment proposer la réactivation d'une loi aussi peu précise que la loi anticasseurs alors même que l'on dénonce quelques pages plus tôt l'ineffectivité du droit, la remise en cause de l'autorité de la loi, le sentiment d'impunité du fait de la lenteur de la justice ? Pourquoi durcir le Code pénal (double peine), quand on identifie comme principal enjeu de la sécurité la prévention de la délinquance et qu'on fait le constat à longueur de pages que la peur de la sanction n'a plus aucun effet dissuasif ? Pourquoi choisir de continuer dans la voie de la militarisation du maintien de l'ordre (drones, Taser) lorsque la recherche de l'efficacité et le souci des victimes devraient conduire à faire porter l'effort sur la précocité de la prévention et l'effectivité de la sanction ?


Au final, peu de tabous de la police sont levés et c'est une vision très « classique » de la sécurité qui nous est présentée. Une approche dépassée, souvent contredite dans les faits, une approche de la sécurité « par pans séparés et cloisonnés». Or la sécurité doit se concevoir comme une chaîne dans laquelle l'éducation, l'entreprise, la police, les acteurs sociaux, la justice, la prison forment un continuum sinon parfait du moins cohérent et relativement coordonné.