26.6.07

Le JT de TF1 depuis l'Elysée : confusion des genres ou vieux relents de suspicion gauchiste ?

Il est des journalistes que j'apprécie pour leur impartialité mais aussi, plus simplement, pour la qualité de leurs analyses. Jean-Michel Apathie en fait partie. Je souhaitais vous faire lire ce petit papier laissé sur son blog voici quelques jours
Extrait du blog de Jean-Michel apathie,
Commentaire du 21 juin
"Hier soir, un considérable événement s'est produit dans la République française. Nicolas Sarkozy, président de la République, accordait sa première interview télévisée à TF1. Je pensais personnellement, même si je sais depuis longtemps que tout le monde se moque de ce que je pense personnellement, qu'il aurait été moderne, ou tout simplement contemporain, que pour cette interview le président de la République, qui souhaite à juste titre désacraliser un peu la fonction qu'il occupe, quitterait son Palais pour aller symboliquement vers les Français en se rendant dans les studios de la télévision concernée.Ce n'est pas la même chose, symboliquement, psychologiquement, d'accueillir chez soi, sur ses terres, dans son bureau, des journalistes chargés de vous interviewer, ou bien à l'inverse de se déplacer et d'accepter de se livrer aux questions dans un lieu dédié à cela. Dans la première posture, il y a l'utilisation de la puissance pour réaliser un exercice toujours délicat. Dans la deuxième, il y a l'humilité de celui qui accepte d'assez loin dans la logique de la démocratie et qui reconnaît et accepte l'importance de l'idée de l'indépendance de la presse et des journalistes.De ce point de vue, j'ai été un peu déçu mais pas surpris d'apprendre que l'entretien se déroulerait depuis l'Élysée, comme avant, comme d'habitude, dans cette République certes libre mais tout de même congelée. Remarquez, je n'en aurais pas fait le plat que je suis en train de faire si les choses avaient été simplement cela. Mais il s'est passé autre chose, du registre du colossal, de l'extraordinaire, dans cette République française certes aux bonnes mœurs, mais quand même aux drôles de mœurs.
Comme il le fait tous les soirs depuis que nous avons que la terre est ronde, Patrick Poivre d'Arvor de TF1 a pris l'antenne un peu avant 20 heures. Générique traditionnel avec le nom du journaliste dessus, tout comme d'habitude. Et puis, à 19h56, exactement, Patrick Poivre d'Arvor est apparu sur l'antenne. Et là, le choc, les certitudes qui vacillent, le monde qui s'écroule.
Le journaliste est debout devant un pupitre. Derrière lui, une fenêtre aux lourds rideaux ouverte sur un parc. Extraordinaire: le journal de TF1, exceptionnellement ce soir, n'est pas présenté depuis les studios de TF1 mais depuis l'Élysée, un journal présenté depuis le cœur du pouvoir, symbole saisissant et raccourci impitoyable de la réduction spectaculaire des distances qui doivent exister, dans une démocratie, entre le journalisme et le pouvoir.D'ailleurs, Poivre d'Arvor, qui en vu d'autres et même beaucoup, n'est visiblement pas à son aise. Une fois les titres déroulés, il dit ceci:
"Un journal donc un peu particulier ce soir puisque plus court, une dizaine de minutes, d'un lieu qui n'est pas habituel, l'Élysée, avec un invité pas comme les autres, le président de la République, nous sommes d'ailleurs ici dans son bureau de travail et il est là, juste derrière la porte vous le voyez."
La résonnance de cette succession de phrases est étrange, angoissante même.Le journal de la première chaine d'Europe, c'est dit ainsi, se fait donc depuis le bureau du premier dirigeant du pays. Il y a là à la fois confusion des genres, des fonctions et presque même jusqu'à la fusion de l'entreprise et de l'institution. Je n'ai pas le souvenir d'une telle situation dans le passé récent, voire ancien. Traditionnellement dans ce genre d'exercice, il est arrivé que le journaliste chargé d'une interview présidentielle prenne l'antenne depuis l'Élysée avant de passer le relais à une seconde personne qui, depuis le studio de la chaine concernée, qu'il s'agisse de TF1, France 2 ou France 3, présente le journal dans des conditions professionnelles normales. La séparation physique a du sens, de l'intérêt, de l'importance. Du coup, l'absence de séparation en a aussi, au détriment du journalisme, bien sûr, hélas, regrets, tristesse et tout ce que vous voulez.
Donc, le journal se passe, depuis l'Élysée. Journal ordinaire, banal, au contenu ordinaire et banal. Ce n'est pas parce qu'il est présenté depuis l'Élysée qu'il est plus complaisant. Ce n'est pas parce qu'il est présenté depuis l'Élysée qu'il est plus mordant. C'est juste le fait qu'il soit présenté depuis l'Élysée qui brouille les repères. Et puis, après ce journal singulier, nous annonce-t-on, "un invité pas comme les autres."Bigre! On a beau savoir que chaque invité est unique, on se demande bien ce que peut être "un invité pas comme les autres". Sans doute faut-il comprendre que ce n'est pas de l'invité qu'il s'agit, mais bien de la soirée qui, dans sa totalité, c'est vrai, n'est pas comme les autres.
Comme souvent quand les personnages ne se sentent pas à leur place, les lapsus se sont invités pour bien signifier au téléspectateur que l'anormalité revendiquée de la soirée ne relevait pas de l'artifice.A peine cinq minutes après le début de l'entretien, PPDA évoque Jean-Louis Borloo et sa bourde sur la TVA sociale, "c'était ici même", dit-il, "en tout cas sur le plateau de TF1", se reprend-il, étalant ainsi le trouble de son esprit désorienté de ne plus savoir d'où parle et travaille le journaliste qui sommeillait en lui hier soir.
C'est ainsi que tout au long de l'entretien, PPDA a paru en équilibre instable sur un fil invisible. Lui qui, d'habitude, possède un stock fourni de questions serrées s'est avancé là avec des interrogations relâchées, négligeant les relances et oubliant les précisions. C'est peu dire que le président, brillant et à l'aise, répétant son discours de campagne, a dominé le trio.
A un moment, même, le journaliste a paru submergé par le malaise. Il interrogeait le président sur le G8 récemment tenu en Allemagne où Nicolas Sarkozy était apparu décontracté, presque trop aux yeux de certains. "On vous a vu très à votre aise avec les chefs d'États et de gouvernement, a-t-il dit, presque même un peu excité comme un petit garçon qui est en train de rentrer dans la cour des grands."
L'irrévérence est une chose, utile dans le journalisme, la maladresse une autre, qu'il faut proscrire. Qualifier un chef d'État de "petit garçon", ne paraît ni juste, ni utile. En fait, c'est à un copain que l'on parle comme cela, pas un proche d'ailleurs, mais un copain, c'est dire quelqu'un dont on se sent l'égal. Toute l'ambigüité de la scène diffusée hier soir sur TF1 se concentre d'ailleurs dans cette séquence.Assis face au président dans cet Élysée majestueux, Patrick Poivre d'Arvor se sentait à la fois chez lui, puisqu'il venait d'y faire ce qu'il fait tous les jours de manière ordinaire depuis vingt cinq ans, et à la fois extérieur au cadre puisqu'il n'est qu'un journaliste de passage qui justement n'est légitiment là que par son travail.C'est dans le tiraillement des deux qu'a résidé l'intérêt de cette soirée qui, à bien des égards et à mon humble avis, demeurera unique parce qu'elle n'est pas prête d'être reproduite."

19.6.07

L'avenir du travail

Critique de livre:
L'avenir du travail, sous la dir. de J. Attali, Fayard et Institut Manpower, 2007
Critique à paraître dans la prochaine News des livres de la Fondation Jean Jaurès (n°79)

« Vers 2050, surgira un robot d’un genre nouveau : le Sobot (…), une intelligence artificielle fondée sur un algorithme imitant le génome humain, un ‘esprit numérique’ sans incarnation physique, travaillant dans l’univers virtuel »

Jacques Attali, c’est Jules Verne. « Ce que j'ai écrit sera réalisé à la fin du siècle», prédisait l’auteur des Voyages extraordinaires. Même ambition - ou presque - pour l’ancien conseiller spécial de François Mitterrand, qui nous propose avec L’avenir du travail, une œuvre à mi-chemin entre roman d’anticipation et rapport prospectif. Bien sûr, point de Philéas Fogg ou de capitaine Nemo ici, reste l’idée d’une odyssée, l’impression que l’auteur d’Une brève histoire de l’avenir[1] nous plonge, à sa manière, au cœur d’Un tour du monde inédit ; dans le monde du travail tel qu’il sera en… 2050.

C’est un voyage dans le futur en deux escales ; d’abord le monde, ensuite la France.

La première partie revient sur les effets de la mondialisation et rappelle, exemples et chiffres à l’appui, la nature nécessairement évolutive du travail. Précieux détour par le présent qui permet de s’entendre sur ce qu’est le travail, sa valeur d’échange. Le travail n’est pas un stock, c’est un flux. Destructions, créations, comment s’organisera demain le travail ? Quelles seront les nouvelles règles du marché du travail ?

Ici, dans ces pages, s’imaginent – que dis-je s’imaginent, s’anticipent !- ce que seront dans trente à quarante ans, les emplois, les services, les industries, les entreprises, les technologies, les migrations. Quelques pistes sont esquissées. Demain, ce monde dans lequel le travail, rassurons-nous, conservera toute sa valeur, ce monde donc, sera tout à la fois plus rapide en termes d’échanges, plus fluide en termes d’emplois et plus incertain aussi pour l’individu. Ce monde qui vient et dont les signes avant-coureurs se dessinent déjà sous nos yeux, s’organisera finalement autour de trois économies nouvelles : l’une virtuelle, l’autre criminelle et la dernière relationnelle. Ce monde est à écrire, et pourtant, on le devine déjà.

Le progrès technique ne supprimera pas le travail ; il continuera de transformer notre rapport à lui. Il créera des besoins et des métiers nouveaux. Il appellera des sécurités professionnelles nouvelles et obligera les entreprises – 20 % d’entre elles au moins en 2050 - à repenser largement la gestion de leurs ressources humaines. Celles-ci auront en effet à faire une lecture de plus en plus extensive de leur fonction sociale, de leur rôle, de leur rapport aux travailleurs, au-delà de la seule relation salariale ; il leur faudra répondre aux demandes de loisir, de santé, de culture. Le bien-être des salariés deviendra un des termes majeurs de la compétition entre les entreprises. Un nombre croissant d’employeurs proposera ce que l’Etat ou ses services assurent encore aujourd’hui. Pour attirer les « créatifs », les programmateurs informaticiens, les directeurs marketing de demain, pour ne pas perdre la bataille de l’innovation, l’entreprise devra prendre en charge les besoins de ses collaborateurs, de sa famille, leur proposer une offre de loisirs et se transformer même en agence de tourisme au moment de leurs congés.

Le monde vu par Attali, ce sont aussi des entreprises et des emplois « plus flexibles, mobiles, nomades, précaires ». Un monde où les entreprises les plus avancées, majoritairement situées dans les pays du Nord, finiront par se dématérialiser. Fonctionnant sur le modèle des troupes de théâtre, ces entreprises formeront des « réseaux collaboratifs », cherchant à attirer vers elles toujours plus de nouveaux talents, coordonnant la production de télétravailleurs distants de plusieurs milliers de kilomètres, créant des ponts virtuels entre travailleurs à domicile, concevant finalement leurs collaborateurs comme des consultants engagés « pour un temps ». Un monde enfin où globalement, la pénibilité et la précarité du travail iront grandissantes, où la demande de sécurités dans l’emploi, la formation et le chômage formeront un seul et même continuum, où les temps différents de l’activité professionnelle seront redéfinis.

Il y a le monde et il y a la France, le cas spécifique de la France, menacée de n’être bientôt plus, selon Jacques Attali, « qu’un pays de tourisme et de villégiature ». La menace peut faire sourire – ou frémir, au choix - mais la démonstration qui suit, est des plus convaincantes. Les éléments d’analyse, les chiffres, les pistes d’avenir ; rien ne manque à cette seconde partie. Risquons nous à un résumé sommaire : un danger, un diagnostic, des propositions d’actions.
La danger, on l’a dit, c’est de transformer la France en un immense parc d’attractions, avec une croissance des richesses de plus en plus dépendantes des activités de tourisme, d’hôtellerie, d’accueil, et un appareil productif, un niveau technologique et industriel devenu rédhibitoire dans le concert économique international.
Le diagnostic ensuite : clair et sans appel. Oui, la quantité de travail est plus faible en France que dans beaucoup de pays de l’OCDE. Oui, le volume d’heures travaillées y est insuffisant. Oui, le taux d’emploi y est notoirement trop faible. Oui, le travail des seniors et des jeunes doivent être rapidement repensés. Oui enfin, l’investissement dans la formation, l’enseignement supérieur, la recherche n’est pas au niveau suffisant pour aujourd’hui permettre de moderniser notre appareil industriel et adapter notre marché du travail aux enjeux d’avenir et à la concurrence mondiale. Et revoilà le spectre baverezien du déclassement, me direz-vous. Pas tout à fait car les voies du salut existent et nous les expérimentons déjà, pour certaines d’entre elles.
Troisième temps de la démonstration – et oui, on n’est pas conseiller spécial à l’Elysée sans un goût prononcé pour la structuration de ses argumentaires - troisième temps donc, ce sont les propositions d’actions. Elles concernent de vastes champs : les emplois de services ou relationnels, l’amélioration du travail des jeunes, l’allongement du travail des seniors, la réflexion sur les modalités concrètes d’une sécurisation des parcours professionnels, la flexibilité du temps de travail, l’évolution de la notion de temps contraint, l’anticipation des besoins majeurs en terme d’immigration.

L’Avenir du travail est un livre aux idées claires, mais qui traite d’un avenir incertain. Il se lit comme une fiction, une anticipation.
Même quand l’urgence est à la refondation, il n’est pas interdit de voir loin.



[1] Jacques Attali, Une brève histoire de l’avenir, Favard, 2006.

18.6.07

Quand la vague bleue se heurte à la rose...

Majorité absolue pour l'UMP mais recul par rapport à 2002.
Plus de 200 députés de gauche, et progression de 50 sièges pour le Parti socialiste.


Le second tour des législatives a permis aux Français de dire clairement leur volonté d'une Assemblée pluraliste, ouverte. Une Assemblée dans laquelle les forces de gauche pourront constituer une opposition vigilante et constructive.

Bien qu'ayant subi, dans la circonscription où je menais campagne, une défaite assez cruelle, je salue cette rectification salutaire souhaitée par les Français au plan national.

Cela nous donnera sans doute dans les jours à venir une droite sensiblement...moins arrogante. Cela donnera au Parti socialiste de la force pour se rénover.

Et ça, moi j'aime.