19.6.07

L'avenir du travail

Critique de livre:
L'avenir du travail, sous la dir. de J. Attali, Fayard et Institut Manpower, 2007
Critique à paraître dans la prochaine News des livres de la Fondation Jean Jaurès (n°79)

« Vers 2050, surgira un robot d’un genre nouveau : le Sobot (…), une intelligence artificielle fondée sur un algorithme imitant le génome humain, un ‘esprit numérique’ sans incarnation physique, travaillant dans l’univers virtuel »

Jacques Attali, c’est Jules Verne. « Ce que j'ai écrit sera réalisé à la fin du siècle», prédisait l’auteur des Voyages extraordinaires. Même ambition - ou presque - pour l’ancien conseiller spécial de François Mitterrand, qui nous propose avec L’avenir du travail, une œuvre à mi-chemin entre roman d’anticipation et rapport prospectif. Bien sûr, point de Philéas Fogg ou de capitaine Nemo ici, reste l’idée d’une odyssée, l’impression que l’auteur d’Une brève histoire de l’avenir[1] nous plonge, à sa manière, au cœur d’Un tour du monde inédit ; dans le monde du travail tel qu’il sera en… 2050.

C’est un voyage dans le futur en deux escales ; d’abord le monde, ensuite la France.

La première partie revient sur les effets de la mondialisation et rappelle, exemples et chiffres à l’appui, la nature nécessairement évolutive du travail. Précieux détour par le présent qui permet de s’entendre sur ce qu’est le travail, sa valeur d’échange. Le travail n’est pas un stock, c’est un flux. Destructions, créations, comment s’organisera demain le travail ? Quelles seront les nouvelles règles du marché du travail ?

Ici, dans ces pages, s’imaginent – que dis-je s’imaginent, s’anticipent !- ce que seront dans trente à quarante ans, les emplois, les services, les industries, les entreprises, les technologies, les migrations. Quelques pistes sont esquissées. Demain, ce monde dans lequel le travail, rassurons-nous, conservera toute sa valeur, ce monde donc, sera tout à la fois plus rapide en termes d’échanges, plus fluide en termes d’emplois et plus incertain aussi pour l’individu. Ce monde qui vient et dont les signes avant-coureurs se dessinent déjà sous nos yeux, s’organisera finalement autour de trois économies nouvelles : l’une virtuelle, l’autre criminelle et la dernière relationnelle. Ce monde est à écrire, et pourtant, on le devine déjà.

Le progrès technique ne supprimera pas le travail ; il continuera de transformer notre rapport à lui. Il créera des besoins et des métiers nouveaux. Il appellera des sécurités professionnelles nouvelles et obligera les entreprises – 20 % d’entre elles au moins en 2050 - à repenser largement la gestion de leurs ressources humaines. Celles-ci auront en effet à faire une lecture de plus en plus extensive de leur fonction sociale, de leur rôle, de leur rapport aux travailleurs, au-delà de la seule relation salariale ; il leur faudra répondre aux demandes de loisir, de santé, de culture. Le bien-être des salariés deviendra un des termes majeurs de la compétition entre les entreprises. Un nombre croissant d’employeurs proposera ce que l’Etat ou ses services assurent encore aujourd’hui. Pour attirer les « créatifs », les programmateurs informaticiens, les directeurs marketing de demain, pour ne pas perdre la bataille de l’innovation, l’entreprise devra prendre en charge les besoins de ses collaborateurs, de sa famille, leur proposer une offre de loisirs et se transformer même en agence de tourisme au moment de leurs congés.

Le monde vu par Attali, ce sont aussi des entreprises et des emplois « plus flexibles, mobiles, nomades, précaires ». Un monde où les entreprises les plus avancées, majoritairement situées dans les pays du Nord, finiront par se dématérialiser. Fonctionnant sur le modèle des troupes de théâtre, ces entreprises formeront des « réseaux collaboratifs », cherchant à attirer vers elles toujours plus de nouveaux talents, coordonnant la production de télétravailleurs distants de plusieurs milliers de kilomètres, créant des ponts virtuels entre travailleurs à domicile, concevant finalement leurs collaborateurs comme des consultants engagés « pour un temps ». Un monde enfin où globalement, la pénibilité et la précarité du travail iront grandissantes, où la demande de sécurités dans l’emploi, la formation et le chômage formeront un seul et même continuum, où les temps différents de l’activité professionnelle seront redéfinis.

Il y a le monde et il y a la France, le cas spécifique de la France, menacée de n’être bientôt plus, selon Jacques Attali, « qu’un pays de tourisme et de villégiature ». La menace peut faire sourire – ou frémir, au choix - mais la démonstration qui suit, est des plus convaincantes. Les éléments d’analyse, les chiffres, les pistes d’avenir ; rien ne manque à cette seconde partie. Risquons nous à un résumé sommaire : un danger, un diagnostic, des propositions d’actions.
La danger, on l’a dit, c’est de transformer la France en un immense parc d’attractions, avec une croissance des richesses de plus en plus dépendantes des activités de tourisme, d’hôtellerie, d’accueil, et un appareil productif, un niveau technologique et industriel devenu rédhibitoire dans le concert économique international.
Le diagnostic ensuite : clair et sans appel. Oui, la quantité de travail est plus faible en France que dans beaucoup de pays de l’OCDE. Oui, le volume d’heures travaillées y est insuffisant. Oui, le taux d’emploi y est notoirement trop faible. Oui, le travail des seniors et des jeunes doivent être rapidement repensés. Oui enfin, l’investissement dans la formation, l’enseignement supérieur, la recherche n’est pas au niveau suffisant pour aujourd’hui permettre de moderniser notre appareil industriel et adapter notre marché du travail aux enjeux d’avenir et à la concurrence mondiale. Et revoilà le spectre baverezien du déclassement, me direz-vous. Pas tout à fait car les voies du salut existent et nous les expérimentons déjà, pour certaines d’entre elles.
Troisième temps de la démonstration – et oui, on n’est pas conseiller spécial à l’Elysée sans un goût prononcé pour la structuration de ses argumentaires - troisième temps donc, ce sont les propositions d’actions. Elles concernent de vastes champs : les emplois de services ou relationnels, l’amélioration du travail des jeunes, l’allongement du travail des seniors, la réflexion sur les modalités concrètes d’une sécurisation des parcours professionnels, la flexibilité du temps de travail, l’évolution de la notion de temps contraint, l’anticipation des besoins majeurs en terme d’immigration.

L’Avenir du travail est un livre aux idées claires, mais qui traite d’un avenir incertain. Il se lit comme une fiction, une anticipation.
Même quand l’urgence est à la refondation, il n’est pas interdit de voir loin.



[1] Jacques Attali, Une brève histoire de l’avenir, Favard, 2006.

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