26.1.07

Un droit opposable au logement et après ?

Face au concert de louanges et de soulagement provoqués par l’idée d’un droit opposable au logement, à l’heure où nous quitte le plus illustre des abbés, j’use de mon droit opposable à la vigilance. Quelques motifs d’interrogation subsistent non ? Le droit opposable, c’est quoi ? Le problème du logement est-il fondamentalement un problème de droit ?
Ras le bol des positions de principe, il faut trouver un toit aux gens ! Jean-Louis Borloo s’est attaqué aux problèmes avec détermination. Bravo ! continuons !
Il faut poursuivre dans le sens de la rénovation urbaine et de l’accessibilité à la propriété en intervenant sur les taux d’intérêt des prêts immobiliers. Contraindre, ou passer par-dessus ceux – de droite comme de gauche - qui n’appliquent pas la loi SRU. Respect de l’environnement, des règles urbanistiques, risque politique pour le maire qui implante du logement social dans sa commune, complexité des financements, ces considérations doivent céder et l’Etat doit donner les moyens aux acteurs locaux, aux acteurs du logement social, d'offrir enfin un toit aux gens. Finissons-en en France avec un schéma bien connu : l’Etat affiche les nobles ambitions, assène ses vérités, parfois de gauche, parfois de droite, les associations affrontent la misère et la honte reste dans les rues, sous les ponts, presque invisible. Sortir les gens de la misère absolue, ce devrait être le premier combat de tout homme politique français.
Il n’est plus acceptable aujourd'hui en France de traiter du pouvoir d’achat, du logement, de fiscalité, et ne pas régler la question de la survie et de la dignité !
Droit opposable ? soit ! Mais le droit seul ne construira aucun logement.


Pour ouvrir le débat et mener une réflexion critique…
… quelques éléments piqués à Pascal-Eric Lalmy, conseiller municipal de Cergy et secrétaire national du PRG :

- on ne peut à la fois demander plus à l’Etat, et lui refuser les moyens d’agir en réclamant des baisses d’impôts. La réalisation du principe de solidarité suppose un effort de redistribution des richesses. Entre le droit au logement opposable et le bouclier fiscal, il faut choisir.

- on peut s’étonner qu’il appartienne au mal-logé de saisir la Justice. Cela à un coût (même si on peut supposer que les associations interviendront dans la procédure et prendront en charge les frais). Cela suppose de s’engager dans une procédure longue compte tenu des délais dans lesquels sont rendues les décisions de Justice. On va donc encombrer un peu plus les juridictions et engager des personnes déjà en difficulté dans des procédures complexes

- on peut s’interroger ensuite sur le résultat obtenu. Admettons que la Justice fasse droit à la demande de la personne mal logée. Le « débiteur » devient l’Etat ou les collectivités territoriales si elles choisissent d’exercer la compétence. Or quel est le contenu de ce droit ? Si la collectivité publique dispose de logements vides, elle devrait être tenue de les proposer à celui qui aura obtenu gain de cause en Justice. Est-ce le cas ? Et les autres ? Mais si elle n’en a pas : pourra-t-elle réquisitionner des locaux privés ? Sera-t-elle tenue de mettre en oeuvre de nouveaux programmes immobiliers ? Dans quels délais ? Le droit au logement sera-t-il opposable aux communes de « bonne foi » qui respectent les obligations de la loi SRU ?

- On retrouve en fait les problèmes que l’on connaît déjà : celui de la réquisition (droit au logement contre protection de la propriété privée), celui du respect de la loi SRU. A part judiciariser les problèmes de logement, on risque de ne pas apporter grand-chose de nouveau. Le droit est un instrument, pas une fin. Il ne se substitue pas à l’action politique. On crée une procédure qui pourrait ne consister qu’en un droit de se plaindre. On pourrait peut-être commencer par s’assurer qu’à Neuilly et dans près de 180 villes d’Ile-de-France, la loi SRU est respectée.

C’est pourquoi le député PRG Roger-Gérard Schwartzenberg a présenté vendredi 5 janvier une proposition de loi sur le droit à l’hébergement et au logement des SDF, centrée spécifiquement sur le problème de cette population. Car la priorité est bien de répondre à l’urgence par des solutions immédiatement réalisables. En effet, les propositions sur le droit au logement opposable concernent les mal logés alors qu’il faut se concentrer d’abord sur la catégorie ultra prioritaire des SDF. Sa proposition institue au profit des SDF un "droit à l’hébergement dans des conditions dignes et durables" et "constitue les SDF en catégorie prioritaire dans la mise en oeuvre du droit au logement opposable". Il suggère ainsi d’ouvrir les structures d’hébergement 24 heures sur 24 pendant toute l’année, d’augmenter le nombre de places d’hébergement de 50% pour atteindre 100 000 à 150 000 places en deux ans.


Source :
- blog de Pascal-Eric Lalmy, conseiller municipal de Cergy et secrétaire national du PRG
- http://cergy-2008.blogspot.com/2007/01/droit-au-logement-opposable-synthse.html

Poursuivre "l'insurrection de la bonté" !

1er février 1954, sur Radio-Luxembourg :

« Mes amis, au secours... Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant hier, on l'avait expulsée... Chaque nuit, ils sont plus de deux mille recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d'un presque nu. Devant l'horreur, les cités d'urgence, ce n'est même plus assez urgent !
Écoutez-moi : en trois heures, deux premiers centres de dépannage viennent de se créer : l'un sous la tente au pied du Panthéon, rue de la Montagne Sainte Geneviève ; l'autre à Courbevoie. Ils regorgent déjà, il faut en ouvrir partout. Il faut que ce soir même, dans toutes les villes de France, dans chaque quartier de Paris, des pancartes s'accrochent sous une lumière dans la nuit, à la porte de lieux où il y ait couvertures, paille, soupe, et où l'on lise sous ce titre « centre fraternel de dépannage », ces simples mots : « Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprend espoir, ici on t'aime »
La météo annonce un mois de gelées terribles. Tant que dure l'hiver, que ces centres subsistent, devant leurs frères mourant de misère, une seule opinion doit exister entre hommes : la volonté de rendre impossible que cela dure. Je vous prie, aimons-nous assez tout de suite pour faire cela. Que tant de douleur nous ait rendu cette chose merveilleuse : l'âme commune de la France. Merci ! Chacun de nous peut venir en aide aux « sans abri ». Il nous faut pour ce soir, et au plus tard pour demain : cinq mille couvertures, trois cents grandes tentes américaines, deux cents poêles catalytiques
Déposez les vite à l'hôtel Rochester, 92, rue de la Boétie. Rendez-vous des volontaires et des camions pour le ramassage, ce soir à 23 heures, devant la tente de la montagne Sainte Geneviève. Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse ne couchera ce soir sur l'asphalte ou sur les quais de Paris.
Merci ! »

17.1.07

En janvier...c'est le printemps du politique !

J'ai lu "Le printemps du politique" de M. Wieviorka, histoire de me mettre en jambes pour 2007.
Histoire aussi, avouons-le, d'y puiser un peu d'inspiration, d'y gagner un peu de peps, d'y dénicher quelques raisons de croire encore, au coeur de l'hiver, au pouvoir du politique. Tandis que partout s'affirme et s'affiche le "désenchantement du politique", certains, dont Wieviorka semblent vouloir renoncer au renoncement. Résulat : pas facile.
Ah le beau mois que voilà ! C’est janvier et ses bonnes résolutions. Janvier aussi, et son refus du pessimisme. Un déclin, une crise, un déficit du politique ? Réponse de saison : ce ne sont là que de funestes idées, tout au plus quelques sombres pensées qui habitaient encore en 2006 une poignée d’esprits chagrins. Etrange mois de janvier qui veut qu’en plein hiver, Michel Wieviorka, lui, voit le printemps.

Au terme de 116 pages d’un exposé intégrant les réflexions d’une douzaine d’intellectuels d’horizons géographique et disciplinaire divers, au terme de 116 pages d’un intérêt indéniable, on entrevoit, à grand renfort de bonne volonté, ce que pourrait être un printemps du politique. Il est vrai qu’au milieu du concert généralisé de critiques et de remises en cause en tout genre, l’exercice était de taille. Le « réenchantement » du politique est une tâche noble mais ardue. Hardie mais ardue !

D’où vient ce sentiment partagé par beaucoup d’un déficit ou d’un déclin du politique ? Partout, les formes classiques de faire la politique sont malmenées ou dénoncées. La politique serait trop loin pour être adaptée, trop médiatique pour être sincère, trop réactive pour être pérenne. La forme particulière qu’est la démocratie représentative serait devenue le lieu de toutes les impuissances. Un cadre obsolète car inadapté à la captation des nouvelles attentes. Mais pour Michel Wieviorka, point d’hiver durable du politique, les raisons de croire en des temps plus cléments sont sous nos yeux. Face à la poussée des individualismes, à l’atomisation des revendications identitaires et culturelles et aux assauts répétés contre l’Etat-nation, il est moins question d’un déficit du politique qu’à une demande pressante de transformation de ses formes traditionnelles, et de son expression social-démocrate en particulier.

Idée centrale de l’ouvrage, l’urgence vaut surtout pour la gauche. Pour Michel Wieviorka en effet, la gauche est plus touchée que la droite, plus directement visée par l’irruption de nouvelles demandes ; le renouvellement idéologique y est donc plus important, le travail de réinvention, plus lourd. La gauche, « réfugiée » dans sa formule social-démocrate, ne peut continuer à donner le sentiment d’avancer à contre-temps, d’acter sans cesse, sur un mode défensif, des évolutions et des désengagements qu’elle n’a pas maîtrisés. On attend plus seulement d’elle qu’elle fasse un inventaire, même critique, d’actions dépoussiérées et reformatées, mais bien qu’elle entreprenne un ambitieux travail de refondation. Les formules sociales-démocrates ont permis de réaliser un aggiornamento utile aux gauches européennes, mais cette utilité n’est que temporaire. Le « réenchantement » de la politique exige plus qu’un travail de réactualisation des paradigmes anciens. Pour Michel Wieviorka, « La social-démocratie (…) n’est pas condamnée à l’Histoire. Mais elle doit être largement réinventée, pour proposer des formes réalistes de solidarité et d’Etat-providence, renouveler les institutions et s’ouvrir à d’autres attentes, sociales et culturelles, que celles du vieux monde du travail industriel protégé et de la fonction publique (…), sur lesquels elle s’appuie trop nettement ».

Scandé en cinq chapitres, dont quatre consacrés à discuter les soubassements du supposé déficit politique et à en définir les contours incertains, le printemps du politique, disons-le clairement, vaut d’abord pour ses vertus de maïeutique. Michel Wieviorka met des mots justes sur un constat à la fois largement partagé et traité, celui du « désenchantement » du politique. On y voit les demandes relevant de « l’infrapolitique » et notamment la poussée des identités culturelles et des individualismes. Puis, voyageant d’illustrations mexicaines en détours israéliens, on y voit aussi, avec force exemples, les attentes nouvelles venues du « dehors » : cette métapolitique, dont la mondialisation et la construction européenne constituent les défis dirimants.

En s’attaquant à l’idée selon laquelle « semble primer, à tous les niveaux, le contraire du politique », le printemps du politique tente de déconstruire la théorie simplificatrice du déclin. Bien plus qu’un retrait ou un recul, le politique fait face à de nouvelles injonctions. Il est en fait sommé de repenser ses répertoires d’action (participation des citoyens, prise en compte du local), de pénétrer des terrains inédits (demandes culturelles, identitaires), de reconquérir un certain nombre d’espaces laissés vacants (l’Europe, la mondialisation, l’écologie) et de se délester de certaines postures (la lecture de la société par les seuls groupes socio-économiques).

Finalement le plus étrange, c’est qu’à lire Michel Wieviorka, on finit par croire qu’en plein hiver, c’est le printemps du politique.
- Michel Wieviorka, Le printemps du politique, Pour en finir avec le déclinisme, Robert Laffont, janvier 2007, 13 euros.
- Cette critique sera publiée dans la News des livres (n°75) de la Fondation Jean Jaurès dans le courant du mois de janvier.