7.11.09

A quoi tient la peur du déclassement ?

Critique de livre, esprit critique novembre 2009, Fondation Jean jaurès.

La peur du déclassement, Eric Maurin, Seuil, 95p.
Retrouvez cette critique sur www.jean-jaures.org


La société française est aujourd'hui traversée par la peur du déclassement. Pour Eric Maurin, cette peur est présente dans toutes les catégories sociales, chez les salariés du privé comme chez les fonctionnaires. Elle n'épargne pas même ceux qui sont pourtant objectivement les plus protégés dans leur emploi. Pis encore, elle est chez ces derniers à un niveau bien plus élevé qu'ailleurs ! La peur du déclassement est devenue le nouveau moteur négatif d'une société dans laquelle désormais seule compte la compétition pour les protections.

Pour Maurin, nous sommes entrés dans une société de statuts ; ceux qui en ont un cherchent à le défendre, ceux qui n'en ont pas cherchent par tous les moyens à en gagner un. On retrouve dans cette sociologie des récessions certains éléments d'une sociologie de l'exclusion, l'idée par exemple d'une société divisée entre insiders et outsiders, coupée en deux entre « ceux du dedans » et « ceux du dehors ». On retrouve surtout l'idée selon laquelle les politiques publiques menées depuis l'après-guerre ont consisté à consolider les acquis sociaux de ceux qui étaient dans l'emploi, au détriment de l'amélioration des conditions d'accès à l'emploi de ceux qui n'en avaient pas... Or, ce système, qui était tenable, en période de croissance forte et de faible chômage, ne l'est plus en période de récessions et de chômage élevé.

Le grand paradoxe décrit par Maurin tient au fait que c'est précisément au moment où le déclassement effectif est devenu rare que la peur du déclassement est la plus puissante et la plus communément partagée dans toutes les catégories sociales. Comment expliquer qu'à l'élévation généralisée du niveau de protection sociale des travailleurs corresponde dans le même temps une peur non moins généralisée du déclassement social ? Pourquoi craindre de plus en plus une situation objectivement de moins en moins probable ?

La peur du déclassement s'explique en grande partie selon Maurin par l'édification progressive au cours des dernières décennies d'un mur de protections de plus en plus haut pour le salarié, de plus en plus difficilement franchissable pour le sans emploi. A mesure que les protections ont crû et que le droit du travail s'est fait plus sécurisant, la peur de ne plus « en être » s'est faite plus grande. Perdre son statut, c'est perdre l'ensemble des droits et avantages qui y sont liés, c'est perdre un ensemble de garanties chèrement acquises, par ses diplômes, par sa carrière professionnelle.

En somme, si la chute est rare, l'idée même d'une chute devenue vertigineuse pour le salarié ou le fonctionnaire, fait encore grandir et prospérer la peur du déclassement. On a d'autant plus peur, qu'on a beaucoup à perdre.

Un autre paradoxe mérite d'être relevé dans l'analyse de Maurin. La peur du déclassement touche y compris ceux qui sont à priori totalement à l'abri des risques de déclassement effectif. Comment comprendre et expliquer que la peur du déclassement soit au moins aussi présente dans la fonction publique qu'au sein du salariat privé ? Le statut de fonctionnaire n'est-il pas à première vue le plus protecteur de tous ?

L'analyse des dynamiques récentes propres à la fonction publique constitue pour Maurin une explication déterminante de la peur du déclassement en France. Comprendre ce qui se joue dans la fonction publique, comprendre pourquoi même les plus protégés dans l'emploi craignent un déclassement social, c'est finalement illustrer de la meilleure des façons ce « paradoxe français » qui veut qu'une société mieux protégée dans ses statuts qu'hier, soit aussi plus craintive pour l'avenir qu'hier.


Dans une société qui subit une récession économique comme la France de 1993 ou celle d'aujourd'hui, la sécurité du statut constitue le « graal » absolu. Dès lors, il est assez aisé de comprendre quelle place de choix peut tenir la fonction publique. L'arbitrage entre privé et public en matière d'emploi en période de crise, se fait toujours au profit d'emplois publics nettement plus sécurisants. La fonction publique a ainsi absorbé durant les années récession une bonne partie des nouveaux diplômés, dont certains ont accepté des postes bien en deçà du niveau de leur diplôme, troquant leur qualification contre la garantie d'une protection.

Pour Eric Maurin, la proportion très élevée de surdiplômés au sein de la fonction publique n'est pas sans conséquence sur leurs comportements et sur leurs peurs. Sécurisées dans leur emploi aujourd'hui, ces générations de fonctionnaires vivent plus mal que d'autres encore l'idée même de devoir concéder une partie de cette sécurité. Ils vivent d'autant plus mal l'idée d'un déclassement qu'ils estiment, fort logiquement, avoir dû faire un arbitrage difficile au sortir de leurs études et s'être fondé sur l'argument essentiel de la sécurité avant de s'engager dans la fonction publique. La recomposition de la fonction publique, la surreprésentation des « très diplômés » en son sein, expliquent que la peur du déclassement y soit encore plus puissante qu'ailleurs. Selon la même logique que celle décrite plus haut mais avec une dimension en plus ; on a d'autant plus peur, qu'on a beaucoup à perdre (le statut)...et qu'on estime avoir beaucoup investi personnellement (scolarité).

Avec les difficultés rencontrées par les jeunes pour entrer aujourd'hui sur le marché du travail, l'effet d'éviction privé/public risque de s'amplifier. La fonction publique va continuer d'être choisie par de plus en plus de jeunes diplômés, voire « très diplômés ». Arrivés plus tard sur un marché de l'emploi bloqué, ils chercheront sans doute plus encore que leurs aînés à acquérir un statut avant même que de penser trouver un travail. Pour Eric Maurin, cette composition de la fonction publique, cette dynamique, conduira inéluctablement à voir se constituer de fortes résistances en matière de réforme de l'état et même de réformes du droit du travail. La défense de leur acquis continuera d'être perçue demain par plusieurs générations de fonctionnaires comme la défense d'un choix initial imposé par la crise, la défense d'un statut légitimement protecteur au vu de l'investissement personnelle dans leur formation initiale.

La prise en compte de la peur du déclassement comme élément majeur et structurant des comportements politiques, des stratégies individuelles et familiales, sera demain indispensable avant d'envisager toute politique publique, toute réforme de l'Etat. C'est un verrou sociologique, psychologique, politique, qui ne pourra être levé qu'au prix notamment d'une réflexion nouvelle sur le lien entre protection et travail. Toutes nos protections sociales, en matière de vieillesse comme de maladie, l'accès au logement, les droits au chômage reposent aujourd'hui exclusivement, sans doute trop, sur le travail et même sur la nature du contrat de travail. La peur du déclassement appellera des réponses nouvelles et fortes. Certaines sont dans l'air du temps depuis longtemps, mais aucune n'a vraiment été mise en place. La sécurisation des parcours individuels, la réflexion sur la mise en place d'un contrat de travail unique, l'instauration d'un capital de formation utilisable tout au long de sa vie peuvent être des réponses à la peur de déclassement.

C'est sans doute là le paradoxe, et le point de divergence avec Eric Maurin ; c'est bien en construisant de nouvelles sécurités qu'on dissipera la peur du déclassement.

24.9.09

L'exemple Condorcet


Condorcet, Elisabeth et Robert Badinter, 740 pages, éd. Fayard.

L'histoire de Condorcet est faite de plusieurs vies qui racontées par les époux Badinter deviennent une épopée. Et pourtant rien n'est de trop dans cette très belle biographie consacrée au grand philosophe des Lumières. Mathématicien, encyclopédiste, député, révolutionnaire, il fut ce héraut sans faiblesse, résolu, courageux, de la Raison triomphante. Plus qu'un messager, il fut le message même des lumières ; il vécut en homme libre, souvent en précurseur, combattit toutes les formes d'oppressions ou de discriminations, défendit les femmes, lutta contre l'esclavage, promut la laïcité.


Sans faillir, il démontra sa vie durant qu'il croyait avant toute chose en l'homme, être doué de raison. En cela, son rationalisme était d'abord un humanisme. Formidable héros de la République que ce Condorcet ! Il est de ces figures qui, par leur conduite et leur constance, ont sauvé la Révolution et son message.


Mieux instruits, donc plus libres, les hommes vivront mieux. Magnifiquement restituée par Elisabeth et Robert Badinter, la vie de Condorcet est un combat inachevé. En faveur de l'instruction publique, de la capacité de chacun à s'améliorer, un hymne au génie humain, aux forces de l'intelligence. Condorcet, c'est révolutionnaire.

21.9.09

Les tabous de la police - Esprit critique

Mohamed Douhane, Les tabous de la police, itinéraire d'un flic français, édition Bourin, 225 p, 19 euros.



Par Nicolas Vignolles
Revue électronique Esprit critique, Fondation Jean-Jaurès, septembre 2009.

Lettre rouges sur fond noir, on allait voir ce qu'on allait voir. Avec « les tabous de la police », l'auteur Mohamed Douhane, commandant de police, expérimenté, membre du syndicat Synergie-Officiers, souhaitait nous apporter une meilleure connaissance de la police nationale, nous livrer un regard renouvelé sur cette institution. Au final, on y lira un discours sur la sécurité qui n'a rien d'original, une analyse dominée par une approche excessivement répressive de la sécurité, aboutissant à des propositions dangereuses et lacunaires. On y lira moins une analyse personnelle, le portrait d'un policier, l'itinéraire singulier d'un flic du XXIème siècle que l'argumentaire classique de l'officier Synergie. Une charge idéologique, cohérente mais au final peu convaincante. Datée.

Mohamed Douhane souhaitait dans cet ouvrage donner sa vision de la sécurité, loin des propos théoriques et des analyses sorties des « salons parisiens ». Son objectif est de rétablir une vérité, que la presse déforme régulièrement ; « certains articles de presse excellent dans l'analyse, la plupart émanent d'experts autoproclamés, souvent aveuglés par leurs préjugés idéologiques et n'ayant aucune expérience de terrain ». Pour Douhane, il faut rétablir le flic français dans la vérité de son quotidien, restituer la difficulté de ses missions, mais aussi montrer les changements de la société et donc des formes d'insécurités et délinquance. L'objectif était intéressant, mais la cible n'est ici clairement pas atteinte. Que lisons-nous une fois dépassés les développements autobiographiques des premières pages ? Tout autre chose que ce qui était annoncé en introduction. Vous savez un peu comme ces copies d'étudiants – mais si tout le monde en a rédigées ou lues -, dans lesquelles l'introduction, léchée, ambitieuse, agrémentée d'une belle citation, ne sert en fait qu'à dissimuler temporairement la faiblesse des développements à venir...

« Culture de l' excuse », « démission des parents », « vidéoprotection », « discrimination positive », « statistiques ethniques », « polygamie », « haine anti-flic », « racisme anti-blancs », « bandes ethniques », « culture du résultat » ; en matière de sécurité, comme pour de nombreuses autres politiques publiques, les mots et les expressions utilisées sont souvent des marqueurs assez fiables d'une ligne idéologique ! On notera par exemple le glissement sémantique habile de « vidéo-surveillance » vers « vidéoprotection »... Les sujets auxquels s'attaque dans ce livre Mohamed Douhane sont les bons, et si l'on peut évidemment partager par moment certains de ses constats, il est difficile de croire en l'efficacité des solutions qu'il propose. Comment partager par exemple son admiration non feinte pour la politique d'incarcération massive pratiquée aux Etat-Unis depuis quelques années ? Ecole de la récidive, la prison, surtout en France, n'est pas une solution efficace contre l'insécurité. Nécessaire, elle doit rester le dernier recours et non pas un levier d'action prioritaire. Il est aisé mais erroné de faire croire que les sociétés les plus dures dans la sanction pénale sont aussi les plus sûres.

Il manque dans ce livre, qui présente de manière avantageuse la politique conduite par Nicolas Sarkozy place Beauvau, une articulation cohérente entre ce qui relève du constat et ce qui a trait aux solutions. La réponse proposée est souvent en contradiction flagrante avec un diagnostic par ailleurs lucide de la situation. Sur deux thèmes au moins, la vidéosurveillance et la lutte contre les bandes dangereuses, cette contradiction est évidente.

Sur la vidéosurveillance, Mohamed Douhane est très clair. Il souhaite sa généralisation. Mais au-delà même des problèmes d'encadrement et de contrôle, cette réponse dans l'air du temps, est-elle une solution efficace pour prévenir et faire baisser la délinquance ? La vidéo-surveillance est-elle une priorité lorsqu'on se fixe l'efficacité comme horizon de son action ? Assurément non. Depuis maintenant une quinzaine d'années, des nombreux travaux de recherche, notamment menés par des criminologues britanniques, ont démontré que la vidéosurveillance n’a pas d’effets dissuasifs concernant les infractions les plus graves commises contre les personnes (homicides, viols, agressions, etc.) ou les infractions commises avec violence contre des biens (attaques à main armée, etc.). Toutes les enquêtes publiées en Grande-Bretagne dressent le même constat ; les comportements de nature impulsive (liés à la consommation d’alcool ou de drogues par exemple) sont imprévisibles ; quant aux délinquants « professionnels », ils ont pris en compte depuis fort longtemps l’existence de dispositifs d’alarme et/ou de détection dans leur plan d’action. L’an dernier, en matière d’élucidation, un haut fonctionnaire du Home Office (Mike Neville) faisait la déclaration suivante lors d’un colloque international consacré à la sécurité : « Des milliards de livres ont été dépensés, mais personne n’a pensé à réfléchir à la façon dont la Police et la Justice devaient utiliser ces images. C’est un fiasco total : seuls 3% des crimes et des délits ont été résolus grâce à la vidéosurveillance. »1
Et puis comment ne pas voir de contradiction lorsque Mohamed Douhane prône la surveillance dans les rues mais s'insurge contre le recours possible à la vidéo lors des interrogatoires réalisés dans les locaux de la police nationale ?


Sur la question de la lutte contre la délinquance, là encore, si l'on peut partager une partie de l'analyse du policier de terrain, on reste pour le moins dubitatif quant aux propositions du syndicaliste policier. Parmi les 25 propositions figurant en fin de livre, citons par exemple : réhabiliter la loi anticasseurs, instaurer le principe de la double peine pour les personnes condamnées pour des faits de violences urbaines, développer la surveillance et l'intervention aérienne (drones, hélicoptères), généraliser la dotation d'arme non létale (pistolet Taser)... A chacune de ces propositions correspond dans l'ouvrage la dénonciation d'une situation qui devrait conduire l'auteur à privilégier précisément une approche opposée ! Comment proposer la réactivation d'une loi aussi peu précise que la loi anticasseurs alors même que l'on dénonce quelques pages plus tôt l'ineffectivité du droit, la remise en cause de l'autorité de la loi, le sentiment d'impunité du fait de la lenteur de la justice ? Pourquoi durcir le Code pénal (double peine), quand on identifie comme principal enjeu de la sécurité la prévention de la délinquance et qu'on fait le constat à longueur de pages que la peur de la sanction n'a plus aucun effet dissuasif ? Pourquoi choisir de continuer dans la voie de la militarisation du maintien de l'ordre (drones, Taser) lorsque la recherche de l'efficacité et le souci des victimes devraient conduire à faire porter l'effort sur la précocité de la prévention et l'effectivité de la sanction ?


Au final, peu de tabous de la police sont levés et c'est une vision très « classique » de la sécurité qui nous est présentée. Une approche dépassée, souvent contredite dans les faits, une approche de la sécurité « par pans séparés et cloisonnés». Or la sécurité doit se concevoir comme une chaîne dans laquelle l'éducation, l'entreprise, la police, les acteurs sociaux, la justice, la prison forment un continuum sinon parfait du moins cohérent et relativement coordonné.

28.7.09

Critique de livre - "Adieu, Abidjan-sur-Seine"


« Adieu, Abidjan-sur-seine ! », Les coulisses du conflit ivoirien, Guy Labertit, Editions autres temps, septembre 2008, 17 euros.

Retrouver l'intégralité de cette critique dans l'Esprit critique n°92 de la Fondation Jean Jaurès.



C'est par un cri du coeur « Adieu, Abidjan-sur-seine! » que Guy Labertit entend remettre à l’endroit l’histoire politique ivoirienne vue de France. Remettre à l’endroit une histoire dont la classe politique et les médias français ont livré ces dernières années, une image déformée. Pour Labertit, on a construit à l’Elysée et au Quai d’Orsay, avec le renfort complice des grands relais d’opinion un récit arrangeant, le récit français d’une histoire ivoirienne.


La charge de l’ancien délégué national à l’Afrique du Parti socialiste est violente. Elle ne s’embarrasse pas de précautions de langage ou de circonvolutions diplomatiques. Guy Labertit a ses cibles, il ne les rate pas. Déterminé, il tente de rétablir, reconquérir une histoire étrangère à la France, qu’elle a pourtant cherchée à confisquer. De ce récit différent du récit officiel français, de cette écriture directe, franche, se dégage une force indéniable et un talent de conviction certain. L’ami de Laurent Gbagbo n’épargne pas les principaux responsables de ce qu’il prend pour une falsification de l’histoire. Chirac et Villepin surtout, nombre de responsables socialistes aussi, tous à des degrés divers, par calcul, méconnaissance ou manque de courage, ont cédé à la facilité, choisissant de lire l’histoire de la Côte d’Ivoire avec les lunettes du passé.


Au fond, c'est ici notre rapport à l’Afrique qu'on interroge. Les Français aiment l’Afrique mais la connaissent-ils seulement ? Font-ils l’effort de la comprendre ? En réalité, peu de responsables politiques s’intéressent à l’Afrique avec sincérité. Peu la connaissent vraiment, et seule une poignée a la volonté d’entrer dans le détail des histoires nationales. Une session de rattrapage nous est offerte. Pour son expérience inestimable des questions africaines autant que pour le ton sans fard qu’il choisit d’adopter, il faut lire Labertit.

la vidéo de l'entretien réalisé avec Guy Labertit en cliquant ici...

11.6.09

25 novembre 1981 Comment la gauche abrogea la loi anticasseurs


« Que l’ordre social rêvé par nous soit impossible, nous en discuterons.
Mais s’il est réalisable, la liberté en sera l’âme même et l’esprit de feu...
La justice est pour nous inséparable de la liberté. »
(Jean Jaurès, Revue socialiste, avril 1895)


Lire l'intégralité de cette note sur le site de la Fondation Jean Jaurès...

L’Assemblée nationale examine, le 10 juin en Commission des lois et le 23 juin en séance publique, la proposition de loi présentée par Christian Estrosi « renforçant la lutte contre les bandes violentes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public ». Parce qu’une ressemblance avec la loi dite « anticasseurs » de 1970 existe, il peut s’avérer utile de réexaminer les débats du 25 novembre 1981, pour comprendre sur quels arguments la gauche l’abrogea.


1981, match retour de 1970

Onze ans après la promulgation de la loi « anticasseurs » du 8 juin 1970, la gauche propose l’abrogation de ses dispositions les plus dangereuses – le « cœur de cette loi scélérate », selon le mot de Philippe Marchand, rapporteur du texte –, celles introduites à l’article 314 du Code pénal.

Les députés socialistes concentrent alors leurs arguments sur trois points forts. La loi est choquante parce qu’elle édicte une responsabilité pénale collective. Elle est inutile car il existe des textes permettant de réprimer les faits visés par cette loi. Enfin, elle est dangereuse et son application en a largement illustré les graves « défauts ».

Le débat de 1981 conclut celui ouvert vingt ans plus tôt ; il est l’occasion pour la gauche de rappeler la justesse des arguments développés des années auparavant, à la tribune, par François Mitterrand. Les trois points-clés de 1981 répondent en écho aux trois questions soulevées dans la question préalable qu’il avait ainsi défendue le 29 avril 1970 : « Je vous poserai donc trois questions pour ordonner mon propre exposé. Voici la première : qui voulez-vous atteindre ? Voici la deuxième : n’en aviez-vous pas les moyens ? En d’autres termes, cette loi était-elle nécessaire ? Ma troisième question sera : le moyen que vous nous proposez est-il conforme au droit, aux lois, aux usages, aux mœurs, à l’idée que l’on se fait d’une société civilisée ? Autrement dit, cette loi n’est-elle pas dangereuse ? ».

1981, c’est le « match retour » de 1970. Reste néanmoins qu’entre-temps, la loi « anticasseurs » a autorisé des atteintes graves, notamment au droit de manifestation, de réunion et de grève. Dès lors, le 25 novembre 1981, il ne s’agissait de rien de moins que d’« abroger des dispositions pénales socialement, juridiquement et politiquement condamnables » (Philippe Marchand, rapporteur).


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8.6.09

Se relever après les européennes. Propositions.

Les lendemains de défaite sont parfois durs, souvent aussi porteurs d'enseignements et pourquoi pas, d'une réaction inattendue et salvatrice. Après avoir résisté aux législatives de 2007, aux municipales et cantonales de 2008, le PS s'effondre en 2009, rattrapé sur le sujet même qui avait fait naître dans ses rangs la division : l'Europe. De la discorde à l'échec, il n'y avait pas long.

Mon analyse est simple : nous payons en 2009, de ne pas avoir encore tranché le débat de 2005 sur le traité constitutionnel européen. "Ni oui ni non, bien au contraire", cela n'a jamais fait un programme. Le manifesto était une belle démarche politique, mais totalement inconnue de notre électorat. La campagne socialiste aurait dû en permanence valoriser et expliquer ce texte signé à 27! Faute d'enthousiasme plus que de stratégie, enfermé dans une opposition frontale à Sarkozy, manquant d'idées réellement neuves, le PS ne faisait tout simplement pas envie. L'Europe méritait non pas tant une explication, mais de l'enthousiasme! Les Français ne souffrent pas d'une méconnaissance de l'Europe, ils en ont peur ! Je ne crois pas aux vertus de la pédagogie en matière européenne - c'est un faut débat -, je crois bien plus à celles du dynamisme, du volontarisme, de l'envie.



Après cette défaite électorale majeure, que faut-il faire ?



D'abord, opérer le rassemblement du Parti et annoncer rapidement un calendrier de travail, des conventions thématiques couvrant l'ensemble des sujets importants. Il nous faut assigner à chaque commission thématique du Parti un objectif simple : la production d'un document écrit préparatoire à une convention thématique. Chaque commission doit se voir fixer un calendrier et être d'ores et déjà "positionné" en mode projet. A partir de septembre 2009, devraient être programmées 7 ou 8 grandes conventions thématiques, dont les derniers détails devront être au coeur de l'université de la Rochelle d'aout prochain. Les conventions devront être totalement ouvertes au public, et être conclues par un vote également ouvert à tous les conventionnels (inscription en début de week-end selon une somme comprise entre 3 et 30 euros selon les revenus). Le vote portera sur des orientations et non sur un programme précis. Par exemple : "Si les critères d'adhésion sont réunis, sommes nous pour une entrée à terme de la Turquie dans l'UE ?" ou "Compte tenu de l'état des universités françaises, sommes-nous prêts à financer l'enseignement supérieur autrement que par l'Etat ?" Les médias devront être autorisés durant tous les débats, dans toutes les tables rondes.

La dernière convention devra nous servir à trancher la manière d'organiser des primaires totalement ouvertes afin de désigner notre candidat pour 2012. Elle devra nous permettre de voter sur la formule que nous voulons : primaire réservé aux militants PS, primaires ouvertes aux sympathisants, primaires ouvertes au citoyen.


Ensuite, il nous faudra entre septembre 2010 et novembre 2011, construire, avant même la présidentielle, un programme législatif avec l'ensemble des forces progressistes. Rien ne permet de dire que malgré la concomitance des deux scrutins, une défaite à la présidentielle conduit nécessairement à une défaite aux législatives. Si notre programme pour la législature prochaine est solide, non seulement nous renforçons notre crédibilité "présidentielle" mais en plus nous envoyons un message fort au Français : le choix de la cohabitation est possible, la session de rattrapage un mois près le vote à la présidentielle, devient envisageable.


En attendant, le message lancé par les électeurs est clair. Il nous faut travailler, trancher, proposer une alternative. Ne plus fuir les questions et proposer des réponses intelligentes, précises, comprises. Nous avons oublié depuis tant d'années de parler aux Français et en particulier au salariés et aux jeunes ! Il nous faut reparler aux jeunes - Obama l'a magnifiquement compris - car c'est ainsi que l'on reparlera au pays tout entier (parents et grands parents). Reconstruire la solidarité entre générations, voilà le défi de demain. Sur la question du développement durable, nous devons changé de "braquet", et proposer - à l'issue d'une de nos conventions thématiques - une relance verte de notre économie.
Les voies du renouveau ne manquent pas. Elles n'appellent pas de notre part de l'imagination, juste de l'effort et du travail.


Face à un adversaire qui ne faiblira pas, et qui jouera la carte de la confusion et l'Union nationale, il nous faudra redoubler d'effort dans la construction de notre offre politique, et démontrer en permanence notre singularité politique. Le PS doit travailler à son offre électorale, plutôt qu'à ses futures et hypothétiques alliances. Il reste l'outil le plus sûr pour ceux qui espèrent une victoire de la gauche.

9.4.09

Investir dans le social - Critique de livre

Investir dans le social, Jacques Delors et Michel Dollé, Odile Jabob, 286 p, 23 euros.


Esprit Critique avril 2009, Nicolas Vignolles

Avec un titre pareil, difficile de ne pas s'attirer quelques égards au sein de la gauche. N'est-ce pas d'ailleurs plus qu'un titre ? « Investir dans le social » est un étendard qu'à coup sûr - pour peu qu'on s'entende sur son contenu - beaucoup aimeraient prendre comme slogan de campagne, tant il semble pouvoir dire en peu de mots la voie à suivre pour la gauche réformiste. C'est le printemps, rêvons un peu ; il y a sans doute là, dans ces quatre mots l'esquisse d'un « Yes we can » français...

Mais le slogan est bon, lorqu'il ne remplace pas la réflexion. Comment investir dans le social concrètement ? Jacques Delors et Marc Dollé, démontrent de manière fort convaincante, en dix chapitres thématisés, ponctués de propositions, que la solidarité, notion clé de notre organisation sociale et nationale, doit être profondément repensée. Les nouvelles insécurités dans l'emploi, les besoins de flexibilité de l'entreprise, la composition et l'organisation des familles mais aussi les défis posés globalement à la protection sociale appellent, non pas un retrait, mais une transformation de l'Etat social. L'Etat providence est longtemps venu corriger les inégalités sociales crées par les distorsions du marché de l'emploi ou répondre aux risques de base que sont la maladie ou la vieillesse. Aujourd'hui, l'apparition de nouveaux risques combinée à la volonté de voir dans le social non plus un coût mais un investissement, poussent à la construction d'un Etat offensif sur le plan social, d'un Etat anticipateur qui s'attaque aux inégalités là où elles se créent et non là où elles se constatent. Il nous faut créer un « Etat d'investissement social ».

Lisez la suite de cette critique à partir du mardi 14 avril, en téléchargeant la revue "Esprit critique" sur le site de la Fondation Jean-Jaurès.

22.3.09

La journée de la jupe


Samedi soir, je suis tombé tout à fait par hasard sur "la journée de la jupe" de Jean-Paul Lilienfeld, que diffusait Arte avant sa sortie en salle mercredi 25 mars.
Isabelle Adjani joue une jeune professeur de français dans un lycée "chaud" de banlieue parisienne, qui dans un réflexe de défense...prend sa classe en otage...


Autant dire tout de suite que certains enseignants crieront à la caricature ou y verront la critique du gachis éducatif dans certaines cités.


Pour moi, c'est un très bon thriller sociétal, une sorte d'"esprits rebelles" noir, d'"entre les murs" version dramatique... C'est en tout cas une excellente illustration de la concentration de frustations contenues dans les murs de certaines ZEP. Dans les établissements français, il n'y a pas eu de tueries style "colombine" (sujet du film de Gus van sant "Elephant"), reste la violence latente, le sexisme ambiant, le non-respect du corps enseignant permanent, les manques de moyens chroniques... La peur est quotidiennement présente dans nombre d'établissements.


Ce film vaut vraiment le coup. Pour le message qu'il délivre autant que pour l'intérêt du sénario.

Pour le message d'abord. Il rappelle que le combat de "Ni putes ni soumises" n'est pas gagné. A voir le film, on est pour l'instauration de la journée de la jupe, dans tous les établissements scolaires français. On souhaite aux jeunes filles d'être respectées en jupes comme en pantalons.


Pour la qualité du scénario ensuite. L'empathie du téléspectateur pour la jeune prof, acculée face à une classe hostile, va crescendo tout au long du film, tandis que son cas ne cesse de s'aggraver ; d'abord victime, elle devient preneuse d'otage puis... On stresse avec elle, on la comprend, on la soutient, super Adjani.


A vous de voir le film pour qu'on en discute ici !

19.3.09

En finir avec le délit de solidarité!


Hier, projection à l'Assemblée nationale du film "Welcome". Je me garderais bien de vous donner un avis sur la qualité artistique du film tant mon incompétence en la matière est notoire, reste que ce film m'a ému. Parce que sur un sujet difficile, il vise juste.


Chacun d'entre nous peut avoir sur la question de l'immigration, son opinion et je dirais même son "approche" du sujet.
Chacun, avouons-le volontiers, peut avoir aussi la volonté de verser dans le moralisme. Moralisme de droite avec la référence à l'"appel d'air", ou à cette "misère du monde qu'on ne pourrait pas toute accueillir" selon le mot tronqué de Rocard, avec enfin la criminalisation assumée du clandestin et de ceux qui l'aident...Moralisme de gauche aussi, tout aussi insupportable, fait d'un mélange de compassion et d'inaction, prônant l'humanisme à la tribune et refusant dans les actes les avancées mêmes les plus modestes, souvent par manque de courage.



Ce film révèle au fond une vérité simple. Il nous oblige au-delà des postures.
On fait quoi face à un homme ou une femme en difficulté, qui demande de l'aide ?


Le film ne pose pas la question de l'immigration. Le débat n'est pas : chance ou problème pour la France ou l'Europe (débat au demeurant à trancher dans les années à venir) ?
Le film pose la question suivante :
Est-il encore permis de porter assistance à une personne dans le besoin? Est-il possible d'offrir en toutes circonstances l'hospitalité à un étranger ?



Le 30 avril, les députés socialistes proposeront, par une proposition de loi, d'en finir avec le délit de solidarité, d'en finir avec ces procès à répétition qui touchent les personnes ou associations venant en aide aux "migrants en situation irrégulière".

La proposition de loi PS visera 5 objectifs :

1 - Dépénaliser toute aide (entrée, séjour, transit) lorsque la sauvegarde de la vie ou l’intégrité physique de l’étranger est en jeu (sauf si cette aide a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte).
2 - Remplacer le terme trop général de « circulation » par celui de transit (I de l’article premier). Grâce à ce changement sémantique, serait ainsi dépénalisé le simple fait de prendre dans son véhicule un étranger pour un trajet quelconque.
3 - Ne sanctionner l’aide au séjour irrégulier que dans le cas où cette aide se ferait à titre onéreux
4 - Dépénaliser l’aide au séjour qui serait le fait de personne physique ou morale agissant dans le but de préserver soit l'intégrité physique de l'étranger soit sa dignité (sauf si cette aide a été réalisée à titre onéreux).
5 - Soustraire de toutes sanctions pénales pour aide au séjour les établissements et services visés à l'article L312-1 du Code de l'action sociale et des familles, ainsi que leurs salariés et bénévoles lorsqu’ils agissent dans le cadre de ces établissements et services

5.3.09

Entretien avec Nicolas Tenzer autour de son ouvrage "Quand la France disparait du monde".

Nicolas Tenzer
Vidéo envoyée par fondationjeanjaures

Ancien élève de l'Ecole normale supérieure et de l'ENA, Nicolas Tenzer est aujourd'hui président du CERAP (Centre d'étude et de réflexion pour l'action politique) et de la revue Le Banquet. A la fois intellectuel et haut fonctionnaire, il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont « France: la réforme impossible ? » en 2004, ainsi que de nombreux rapports officiels qui ont inspiré la réforme de l'Etat en France comme à l'étranger.

19.2.09

Slumdog millionaire !




Si le film de Danny Boyle attrape l'Oscar du meilleur film dans quelques jours, ce ne sera que justice. J'ai vu hier soir un très beau film, et tant pis si ce sentiment est des plus communs, au vu du véritable concert de louanges dont bénéficie ce film. Parfois aussi, l'unanimité est justifiée !
L'Inde est racontée avec beaucoup d'intelligence, on y voit la violence entre communautés, l'étanchéité entre les castes, mais aussi la beauté et l'énergie incroyables de ce pays. La réalisation, les acteurs (l'actrice principale est à tomber par terre), et la musique sont tout simplement top !
Je ne suis pas doué pour parler 7ème art, tant mieux un film n'est pas fait pour être commenté mais pour être vu. Courrez-y !

16.2.09

L'investissement dans la recherche devrait être une priorité absolue!!





Je compte pas mal d'amis dans le monde de la recherche. Sans être un expert des questions d'enseignement supérieur et de recherche, je perçois leur malaise et surtout leur volonté de faire progresser le système de recherche français. Contrairement à l'image caricaturale que veut installer le Président de la République dans l'esprit des français - selon sa méthode traditionnelle qui consiste à monter en permanence une catégorie de français contre une autre catégorie - un enseignement chercheur n'est pas un feignant qui se tourne les pouces aux frais du contribuable. C'est généralement une personne qui après 8 années d'études, tente de mener à terme ses travaux avec des crédits faibles et mal assurés dans le temps...La crise conduit à bien mesurer ses propos mais on peut tout de même ajouter à cela que leur rémunération (entre 1500 euros et 2400 euros en fin de carrière) n'est pas à la hauteur de ce qu'un chercheur est en droit d'attendre dans un pays qui promeut la recherche comme priorité nationale...

La recherche française ne se meure pas du fait de la qualité de ses chercheurs ou de ses professeurs d'université, elle se meure faut de volonté politique depuis 7 ans. Il ne suffit pas de déclamer que la recherche et l'innovation sont des priorités pour que cela se réalise! La réalité de la volonté politique se mesure et se vérifie avec la loi de finances. Or que nous dit le budget ? Que la droite n'a envie d'investir ni dans l'éducation ni dans la recherche, alors même que réside là les véritables voies d'avenir pour affronter demain la concurrence mondiale et "aller chercher la croissance"...


Nicolas Sarkozy nous offre ici encore le spectacle affligeant d'un Président idéologue, qui jette dans le débat un tissu d'idées préconçues. Quand comprendra t-il enfin qu'on ne réforme pas la recherche en injuriant les enseignants chercheurs, qu'on ne réforme pas la justice en injuriant les juges, qu'on ne réforme pas l'audiovisuel en injuriant les journalistes, qu'on ne réforme pas la fonction publique en caricaturant les fonctionnaires, qu'on ne réforme pas le système bancaire en injuriant les traders, qu'on ne réforme pas les collectivités locales en supprimant 50 % de leur financement (taxe professionnelle) ?

Bref qu'on ne change pas la France en montant les Français les uns contre les autres.

30.1.09

"Vous n'avez réussi qu'à décupler notre détermination"

Les députés Socialistes boycottent le vote Réforme du Parlem
Vidéo envoyée par GroupeSRC

Jean-Jacques Urvoas, député du Finistère, explique, seul, les raisons pour lesquelles les députés socialistes ne veulent pas prendre part au vote sur la réforme du Parlement. Un nouvel épisode de la crise parlementaire.

29.1.09

La grève : une longue conquête


Pour bien comprendre :

- une décision importante du Conseil constitutionnel ...(cliquez ici)

- une étude intéressante : La France, pays des grèves ? (cliquez ici)



Une longue conquête


Jusqu’au XIXesiècle, non seulement la grève était interdite mais elle constituait en outre un délit pénalement sanctionné. Ce n’est que le 25 mai 1864 qu’une loi mit fin à cette pénalisation de la grève, sans toutefois lui donner sa pleine portée. En effet, selon cette loi, la grève constituait toujours une rupture du contrat de travail et pouvait justifier un licenciement du salarié gréviste ou une intervention de la force armée avec heurts sanglants et victimes. Pourtant, malgré les risques encourus par les salariés, la grève a joué tout au long de la Troisième République un rôle majeur dans la vie politique et sociale (ex : grève générale avec occupations d’usines en 1936, après la victoire du Front populaire).

Ce n’est qu’à la Libération que le droit de grève est pleinement consacré. Il est inscrit dans le préambule de la constitution du 27 octobre 1946 : "Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent". Contrairement à ce que semblait annoncer ce texte, le législateur n’est pas intervenu pour encadrer le droit de grève, mais seulement pour l’interdire à certaines catégories de personnels. C’est le cas des Compagnies républicaines de sécurité (CRS) par une loi de 1947, des personnels de police (loi de 1948) et des magistrats en vertu d’une ordonnance de 1958. En raison de cette carence du législateur, le Conseil d’État, tout en reconnaissant le droit de grève des fonctionnaires, a demandé à l’administration de réglementer les conditions de son exercice (arrêt Dehaene de 1950).

Sous la Cinquième République, le droit de grève est totalement reconnu (le préambule de la constitution de 1958 fait référence au préambule du texte constitutionnel de 1946). Cependant, le législateur est intervenu en 1963 pour encadrer quelque peu ce droit. Sont ainsi interdites les grèves "tournantes", qui visent à paralyser l’action d’une entreprise. De même, dans la fonction publique, un syndicatSyndicatAssociation de personnes dont le but est de défendre les droits et les intérêts sociaux, économiques et professionnels de ses adhérents. souhaitant organiser une grève est contraint de déposer un préavis cinq jours au moins avant la cessation du travail. Par ailleurs, un service minimum a été mis en place dans certains secteurs. Le contrôle aérien fait ainsi l’objet depuis 1964 d’une prise en charge minimale pour des raisons évidentes de sécurité. Il en va de même, depuis une loi de 1979, de la télévision et de la radio (qui ont l’obligation de diffuser un journal d’information et une émission de divertissement chaque jour).


Source : http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/citoyen/approfondissements/droit-greve.html

20.1.09

Critique de livre - Esprit critique Janvier 2009



Understanding America, The Anatomy Of An Exceptional Nation, Peter H. Schuck and James Q. Wilson, Public Affairs, 2008.


Retrouver cette critique dans Esprit critique n°89, sur le site de la Fondation Jean Jaurès : http://www.jean-jaures.org/



A lire le sous-titre de cette imposante somme consacrée aux Etats-Unis, on peut de prime abord s'interroger sur le côté militant de ce travail universitaire. Et c'est bien d'un travail de conviction dont il s'agit. Reprenant le mot de Tocqueville pour qui l'Amérique était une « nation exceptionnelle », cet ouvrage se propose de réinterroger, en s'appuyant sur les meilleurs travaux en sciences sociales, cette « exception » américaine. Séquencé en 21 chapitres d'une trentaine de pages, Understanding America, est une présentation de l'Amérique au reste du monde, par quelques-uns de ses meilleurs universitaires. Coordonné par Peter H. Schul, professeur de droit à l'université de Yale et James Q. Wilson, professeur de Government à Harvard, ce livre est une contribution unique à une meilleure compréhension de l'Amérique. Ecrite dans un anglais académique largement accessible au plus grand nombre, cette plongée passionnante, qui cherche à démontrer autant qu'à convaincre, est l'occasion de questionner aussi l'Europe, son regard sur l'Amérique, et finalement sa relative méconnaisance. Sans aucun doute a t-on là l'un des meilleurs livres pour se faire une idée juste de l'Amérique, de l'image qu'elle veut renvoyer d'elle et comprendre un peu mieux ce pays fabuleux et complexe, si proche de nous et si différent à la fois, appréhender un peu plus ce pays dont De Gaulle disait qu'il était « fille de l'Europe »


Il est des ouvrages qui mériteraient qu'on y consacre plusieurs « Esprit critique » ; des ouvrages qui, comme certains desserts, mériteraient évidemment qu'on y revienne. Face à l'impossibilité d'embrasser en une seule et même critique un travail aussi copieux, impliquant une vingtaine d'auteurs différents, je me contenterai ici de restituer sur quelques thématiques importantes, à l'aube de la prise de fonction d'Obama, une infime part de ce voyage en Amérique. A dessein, je choisirai de revenir plus particulièrement sur les analyses développées dans la première partie de l'ouvrage consacrée aux institutions et à la culture.

Inauguration Day oblige, la lecture du premier chapitre consacré au système politique, mérite bien une attention particulière. Que retenir du fonctionnement passé et actuel de la démocratie américaine ? Une philosophie générale ou un principe-clé demeure incontournable, hier comme aujoud'hui, le fameux « checks and balances ». Deux institutions puissantes – si l'on excepte pour l'instant le pouvoir judiciaire – polarisent l'essentiel des pouvoirs institutionnels au niveau national. La présidence, dont le pouvoir n'a cessé de s'affirmer depuis les années 50-60, se trouve en compétition permanente avec le Congrès, qui peut-être considéré à raison comme le plus puissant parlement du monde, eu égard tant aux pouvoirs qu'aux effectifs et moyens propres dont il dispose. Dans ce dispositif dans lequel une stricte séparation des pouvoirs est observée, et où chacun des pouvoirs a « besoin » de l'autre pour agir, le Sénat s'est affirmé comme la chambre la plus puissante et la plus visible nationalement. Il est le point de passage désormais privilégié, la rampe de lancement avant toute candidature présidentielle, le lieu où se construit à la fois une visibilité médiatique qui dépasse les frontières de son Etat d'élection, le lieu où se prépare aussi le combat des primaires et le soutien au sein de son propre parti. La Chambre des représentants et ses 435 représentants ne permet pas de se « distinguer » aussi nettement que ne le permet le Sénat et ses 100 élus. Enfin, pour bien comprendre le système politique américain, il faut avoir à l'esprit qu'à une logique nationale, vient se greffer une logique fédérale. On lira ci avec intérêt l'analyse de ce que les analystes américains définissent comme le « one-hundred party system » (système des cent partis), autrement dit l'existence dans chaque Etat de logiques partisanes, d'opposition de valeurs, de positionnements idéologiques aussi variés que le nombre d'Etats. Peu de choses en effet à partager entre les démocrates du Massachussets et ceux du Nebraska. Chaque Etat reconstitue dans les limites de ses frontières ses propres débats, y compris sur des questions aussi essentielles que le droit à l'avortement ou la peine de mort. Dernier élément, congruente à la logique fédérale, l'ensemble des exécutifs locaux, juges, sheriffs, et même représentants des parents d'élèves sont élus. La démocratie américaine est complexe, parce qu'elle entremêle des logiques de pouvoirs et de gouvernance tantôt alliées tantôt concurrentes. Cette complexité explique qu'une communauté extrêmement large d'acteurs participent en fait à la prise de décision politique et à la mise en oeuvre des politiques publiques : l'intense activité de lobbying à Washington en est le signe car là se concentrent et se confrontent, dans la capitale de l'Union, tous les intérêts et logiques du pays.

L'analyse ensuite du système légal et judiciaire, plus précisément la fonction de la norme de droit dans la vie des américains se révèle incontournable. Comment les Américains conjuguent-ils depuis tant d'années leur goût prononcé pour la liberté, particulièrement visible quand il s'agit d'économie, et un attachement tout aussi grand pour le contentieux juridique ? En réalité, avec le développement de l'Etat-providence, de nouveaux droits se sont développés. Dans chaque Etat, des législations différentes ont encadré les pratiques en matière de santé, de famille, de commerce ou même en matière criminelle. Avec l'affirmation de nouveaux champs d'intervention publique, de nouvelles règles et normes ont été nécessaires. En outre, le Welfare State, en poursuivant des objectifs sociaux, en élevant le niveau de vie moyen des américains, a aussi fait naître dans les années 60 une forte aspiration à la reconnaissance de nouveaux droits. Le mouvement des droits civiques a coïncidé avec de nouvelles revendications par et pour la classe moyenne ; au bien-être matériel, s'est doublée une demande de reconnaisance plus grande de l'individu. Le mouvement pour les civil rights a fait progressivement sauté le système antérieur, ses conséquences ont donc largement dépassé le seul combat – fondamental évidemment – pour l'égalité entre les blancs et les noirs. Ce combat premier a ouvert la voie aux combats des femmes, des étudiants ou encore des minorités sexuelles. Le droit a dû s'adapter à cette demande sociale nouvelle. On est passé d'une demande d'égalité légale «(« legal equality ») à une demande d'égalité différenciée ou plurielle (« plural equality »). Il s'est donc agi de construire par pans entiers et en peu de temps de nouvelles lois protectrices de ces droits, assumant de nouvelles sécurités. L'inflation des services juridiques des entreprises afin de couvrir des risques sans cesse nouveau, la judiciarisation croissante de la société, finalement l'immixtion de la règle de droit dans chaque action de la vie quotidienne finissent par remettre en question aujourd'hui l'idéal libéral. Des questions passionnantes sont ainsi posées quant aux limites du droit et de la norme. On s'interroge par exemple sur le fondement du Patriot Act qui rogne sur les libertés publiques au nom de la sécurité. On s'interroge aussi sur la protection des libertés avec le développement des capacités de l'Internet. Quelle place pour l'individu et son intimité quand les réseaux sociaux sur Internet se multiplient, et que le développement des « fichiers » rendent difficiles le contrôle de l'utilisation des données personnelles ?

L'économie américaine fait l'objet d'un chapitre spécifique ; un chapitre que la crise économique actuelle a au mieux ringardisé, au pire totalement invalidé. Pour ceux qui aiment l'histoire du Titanic, surtout avant sa rencontre avec l'iceberg et en particulier pour ceux qui raffolent de la scène de l'orchestre continuant de jouer pendant le naufrage, ce chapitre est un « must ». On peut y lire en une trentaine de pages, un superbe plaidoyer de l'Amérique d'avant-crise. On y trouve quelques pépites, magnifiques illustrations d'un temps parfaitement révolu, le témoignage d'une confiance un peu naïve en une économie, aujourd'hui fragilisée par la crise. On savourera notamment cette analyse, aujourd'hui quelque peu démentie par les faits, et notamment depuis la révélation sur la passivité de la SEC – l'AMF américain – sur les agissement du financier Madoff : « One reason American financial markets are so well developped, and attract such broad public participation, is that government regulation and supervision preserve soundness and integrity of the vast majority of private-sector financial institutions... ». Certains développements gardent bien sûr leur validité et il serait trop facile de jeter l'ensemble de l'analyse avec l'eau de la crise... La réussite américaine des dernières décennies est expliquée principalement par trois facteurs : le très haut niveau de productivité des travailleurs américains (leur sens supérieur de l'effort), un droit du travail parmi les moins contraignants des pays du G7, enfin un niveau de syndicalisation extrêmement faible. Facteur proprement américain d'après l'auteur, plus qu'ailleurs dans le monde, le succès économique est pour nombre d'américains la seule chance de reconnaissance sociale. Benjamin M. Friedmann note - rendons lui justice sur ce point également – combien depuis une dizaine d'années maintenant, l'accroissement des gains de productivité et du niveau général de la richesse produite ne bénéficie plus à la plus grande majorité des américains mais seulement aux 10% les plus riches. Il y a dans cette incapacité à garantir l'élévation continue du niveau de vie des classes moyennes, une carence particulièrement grave de l'économie américaine. Ce constat ne conduit malheureusement pas l'auteur à s'interroger sur la déconnection progressive et avérée entre la finance et l'économie réelle, à se poser la question fondamentale de la redistribution dans l'entreprise des gains de productivité, entre capital et travail. C'est pourtant cette même faiblesse – la « déconnection »avec la réalité de l'économie et des marchés – qui débouchera sur la crise des subprimes. L'incapité pour une économie à réduire les inégalités sociales aurait dû jouer un rôle d'avertisseur, ou être interprété comme le signe d'une logique qui sur le seul plan économique est dangereuse à court ou moyen terme. Rien n'est dit de ces dangers. La captation par quelques-uns de la richesse produite a coïncidé avec une perversion lente du capitalisme lui même, en déplaçant les centres de décision des dirigeants d'entreprise vers les conseils d'administration, des salariés vers les actionnaires, en préférant finalement le couple rentabilité/bonus au couple profit/investissement.

Dans les autres chapitres de cette somme passionnante et très complète, il est indispensable de lire l'analyse du système médiatique et de la presse. Y sont décrites avec minutie l'évolution des grands réseaux cablés, leur volonté de s'ériger dans les années 90 en véritables « arbitres politiques » - Don Hewitt parlera de l'émission 60 minutes diffusée sur CBS de son rôle de « contrôleur général » (ombudsman), et enfin la montée rapide d'une très grande défiance du public américain vis-à-vis de ces média.

Mais puisque le 44ème Président des Etats-Unis prêtera serment comme ses prédecesseurs en posant la main sur la bible, on ne s'interdira pas de lire le chapitre très détaillé consacré au rapport des américains à la foi. Ce chapitre revient sur la difficulté grandissante pour l'Amérique de conjuguer goût du pluralisme culturel et attachement au christiannisme. Le développement des religions, la place faite aux musulmans ou aux buddhistes interroge l'Amérique sur la représentation qu'elle se fait d'elle-même, et renvoie inévitablement à la question de l'identité américaine. Le même questionnement est au coeur des chapitres consacrés à l'immigration, à la démographie et celui passionnant dédié au thème de la famille.

A l'aube de ce qu'il est permis de considérer comme un tournant politique majeur aux Etats-Unis, il est urgent de lire cet ouvrage à la fois dense et riche. On y trouvera un plaidoyer, en faveur non pas de la grandeur de l'Amérique et de son message, mais d'une meilleure compréhension de l'exception américaine. Mais qu'on ne se méprenne pas, malgré l'ampleur du travail, on se souviendra de ces mots justes de Julien Green, qui dans son carnet de voyage Mon Amérique écrivait : « Définir l'état d'esprit d'un pays aussi vaste et aussi divers que l'Amérique est à peu près impossible dans la période incertaine que nous traversons. L'opinion de cent trente millions d'hommes et de femmes ne se laisse pas emprisonner en quelques phrases ... »

16.1.09

Le Parlement, ce lieu où l'on parle.


La révision constitutionnelle votée en juillet dernier par le Congrès réuni à Versailles, devait – nous disait-on – revaloriser le Parlement. L'intention du texte était louable mais la réalité de son contenu n'a pas convaincu les parlementaires de gauche de le voter. Que signifiait au fond ce non ? Pourquoi, ceux des parlementaires les plus désireux de trouver les voies d'un compromis, s'étaient-ils finalement opposés eux-aussi à cette réforme de la « maison commune » ? La raison en était simple ; le projet de loi constitutionnel contenait plus de non-dits que de nouveaux droits, plus de droits virtuels que de droits effectifs. Au final, par ses manques, la réforme constitutionnelle suscitait bien plus d'inquiétudes que d'espoirs.

Il est important de se souvenir aujourd'hui ce qui fondait les réserves exprimées alors. La révision constitutionnelle renvoyait ni plus ni moins à quinze lois organiques ou ordinaires, ainsi qu'à neuf modifications des règlements des assemblées! En réalité, avec le vote du Congrès en juillet s'ouvrait un grand chantier dont toute le monde ignorait ce qu'il allait précisément permettre d'édifier.

Au-delà de la réforme, comptaient bien plus le cheminement législatif, la mise en mots, la traduction normative qui devaient suivre. Dans la manière de conduire ce chantier, le gouvernement pouvait indiquer clairement où se trouvait ses priorités. Dans le choix du calendrier et de la méthode, il avait l'occasion de lever certaines des inquiétudes exprimées en juillet. L'exécutif pouvait démontrer à l'opposition qu'une bonne partie de ses préventions n'étaient pas justifiées et que le vote négatif à Versailles était fondée sur des craintes qui ne tenaient plus. Ce choix, qui sur le seul plan tactique aurait été judicieux, n'est pas celui qu'a fait le gouvernement. Bien au contraire, au lieu de commencer par le dépôt de projets de lois organiques portant par exemple sur la création d'un référendum d'initiative populaire ou sur la création d'un Défenseur des droits, le gouvernement choisit d'entamer son « chantier » par deux lois organiques dont chacun pourra apprécier l'urgence et l'opportunité : l'une permettant le retour des ministres au Parlement, l'autre relative au redécoupage électoral...

S'il fallait une confirmation des craintes exprimées par l'opposition en juillet, une validation a posteriori de son vote, l'examen de ces premières lois organiques valaient mieux que de longs discours. Les priorités de l'exécutif étaient désormais clairement connues ; un constat s'imposait, la revalorisation du Parlement n'était pas au menu...

C'est dans ce contexte particulier, qu'était adopté en Conseil des ministres le 10 décembre, le projet de loi organique « en application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution ». Nouveau pan du « mécano constitutionnel », ce projet de loi organique, dont le titre échappe naturellement à tout citoyen non titulaire d'une maîtrise de droit public, affiche et assume dès l'exposé des motifs un objectif clair : améliorer la qualité de la loi, renforcer l’efficacité du travail parlementaire et diversifier les modalités d’expression du Parlement. Mais c'est en réalité une autre phrase qui dès les premières lignes indique la vrai visée de ce texte : « La rationalisation des conditions d’exercice du droit d’amendement est une attente forte et ancienne ».

Le projet de loi organique révèle dans cette seule phrase toute son ambition : faire taire le Parlement, faire en sorte qu'il ne soit plus ce lieu où l'on délibère. Qu'on en finisse avec ce lieu où l'on parle ! A grand renfort d'articles de presse, de vidéos détournées et de chiffres erronés, l'exécutif appuyé par sa majorité parlementaire, a préparé les esprits en menant une puissante campagne de communication. L'idée centrale en était simple et redoutable, tant il est vrai que l'antiparlementarisme demeure latent dans notre pays ; le Parlement souffrirait d'un mal absolu et récurrent nommé « obstruction ».

L'opposition mènerait de manière systématique et sans aucun discernement depuis le début de la XIIIème législature des opérations dite de « guérilla parlementaire ». Pour l'exécutif, il y a là un dévoiement de nos institutions ; le temps serait venu de couper court à ce travail de sape, de rétablir enfin l'institution parlementaire dans sa dignité ! L'argumentaire a été développé à l'envi pendant des jours et des jours par les chevaux-légers de l'Ump d'abord, puis par le Président de l'Assemblée nationale lui-même, enfin par les membres du gouvernement. On montra du doigt ici l'attitude irresponsable de l'opposition sur le travail du dimanche, là le supposé acharnement sur l'audiovisuel public...Côté UMP, on battit même sa propre coulpe en reconnaissant avoir pratiqué en son temps l'obstruction parlementaire pour mieux appeler de ses voeux la construction d'un Parlement du XXIème siècle dans une sorte de dépassement collectif et sublime...

En réalité, ce déploiement d'énergies en amont du texte, ne visait qu'à conditionner les esprits à l'acceptation d'une régression démocratqiue majeure, entièrement contenue ou presque à l'article 13 du projet de loi organique. Celui-ci dispose que désormais : « Les règlements des assemblées peuvent, s’ils instituent une procédure impartissant des délais pour l’examen d’un texte, déterminer les conditions dans lesquelles les amendements déposés par les membres du Parlement peuvent être mis aux voix sans discussion ». Cet article remet en cause le droit constitutionnel, individuellement reconnu à chaque parlementaire, d'amender librement les textes de loi. En outre, il condamne à un mutisme forcé, les représentants du peuple, élus au suffrage universel, une fois épuisé le crédit-temps alloué à leur groupe parlementaire.

On le comprend, l'article 13 est un bâillon sur la bouche des parlementaires...Ce « temps guillotine », s'il devait être adopté, introduirait une transformation considérable du rôle des chambres parlementaires, les cantonnant à un rôle d'avaliseurs des projets gouvernementaux.

La philosophie générale de ce projet de loi organique se révèle pleinement dans cet article 13. Quelle est-elle finalement cette philosophie, sinon une toute nouvelle manière d'écrire et de penser la loi ? Dans l'esprit du Président de la République, véritable architecte et commanditaire de cette réforme, la loi s'écrit dans les cabinets ministériels et le Parlement ne fait plus que l'enregistrer. Finalement, la norme change de fonction ; elle s'écrit vite, s'inscrit dans le temps médiatique, répond à l'émotion, colle au moment. Pour Nicolas Sarkozy, la loi est une réponse, et non une solution.

L'article 13 est donc autant un bâillonnement, qu'une renonciation. Le choix de lois de circonstance, votées au terme de délibérations écourtées, c'est en effet la renonciation aux lois de qualité. Qu'on veuille bien seulement se rappeler qu'en 1905, la loi sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat fut adoptée après deux ans de travail en commission et neuf mois de débats à la Chambre puis au Sénat...Qui oserait soutenir aujourd'hui que ces débats et la loi en résultant ont été inutiles ?

En définitive, en dépit des sorties médiatiques tonitruantes sur la supposée « obstruction parlementaire », ce projet de loi organique s'avère tout à la fois inutile, trompeur et dangereux.

Inutile si l'on veut bien se rappeler que depuis 18 mois, seuls 2 textes ont dépassé la barre des 1000 amendements et qu'il n’a fallu en moyenne que 2 jours pour que le Gouvernement fasse adopter ses projets de lois à l’Assemblée nationale...L'obstruction n'a jamais empêché l'adoption d'un seul projet de loi ; l'exécutif disposant de tous les moyens nécessaires pour écourter les débats avec pas moins de 5 articles de la Constitution à sa disposition (40,41, 45, 44-3 et 49-3). Dernière preuve de cette capacité de contrainte exorbitante laissée au gouvernement et à la majorité, plus d'un millier d'amendements ont été jugés irrecevables le mardi 13 janvier et n'ont donc pu être ni examinés ni défendus en séance publique...

Trompeur ensuite, car l'exécutif est en fait le seul et unique responsable du retard de ses politiques en même temps que de l'obstruction du travail des assemblées! Plus de 70 lois ont été votées depuis le début de la législature, et le Sénat vient récemment de révéler que leur taux de mise en oeuvre (l'ensemble des décrets d'application) n'étaient que de...24%.

Dangereux enfin, tant l'on sait l'importance en démocratie de garantir un certain équilibre des pouvoir, tant il est vrai aussi, que ce projet de loi organique s'intègre dans un contexte général inquiétant où depuis plusieurs mois, la presse et la Justice font l'objet de pressions, laissant accroire que l'on cherche à éteindre un à un dans notre pays tous les foyers de critique.

Inutile, trompeur, dangereux, ce projet de loi organique intervient dans un contexte de crise économique et sociale. Le risque est donc grand que la bataille parlementaire engagée dès le 7 janvier en Commission ne passionne guère les Français. Et pourtant se joue là une bataille décisive pour l'avenir. Avec ce texte d'apparence technique, destiné en réalité à « mater » l'opposition au sein des assemblées élues, le gouvernement prend le risque de renvoyer l'expression des conflits à l'extérieur des hémicycles. Faute de « soupape parlementaire », il prend le risque de faire de la rue la place forte de l'opposition au pouvoir exécutif. C'est prendre un risque considérable.





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14.1.09

Quand les socialistes défendent leur droit d’amendement

Quand les socialistes défendent leur droit d’amendement
Vidéo envoyée par LepointTV

Les députés socialistes ont réalisé un film de sept minutes intitulé Notre droit d’amendement, c’est votre liberté d’expression. Objectif : répondre au film réalisé par le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, Quand le Parlement s'éveillera, qui dénonce "les ravages de l’obstruction". Du CPE au paquet fiscal, les socialistes rappellent, sept minutes durant, "l'utilité du débat parlementaire".