16.1.09

Le Parlement, ce lieu où l'on parle.


La révision constitutionnelle votée en juillet dernier par le Congrès réuni à Versailles, devait – nous disait-on – revaloriser le Parlement. L'intention du texte était louable mais la réalité de son contenu n'a pas convaincu les parlementaires de gauche de le voter. Que signifiait au fond ce non ? Pourquoi, ceux des parlementaires les plus désireux de trouver les voies d'un compromis, s'étaient-ils finalement opposés eux-aussi à cette réforme de la « maison commune » ? La raison en était simple ; le projet de loi constitutionnel contenait plus de non-dits que de nouveaux droits, plus de droits virtuels que de droits effectifs. Au final, par ses manques, la réforme constitutionnelle suscitait bien plus d'inquiétudes que d'espoirs.

Il est important de se souvenir aujourd'hui ce qui fondait les réserves exprimées alors. La révision constitutionnelle renvoyait ni plus ni moins à quinze lois organiques ou ordinaires, ainsi qu'à neuf modifications des règlements des assemblées! En réalité, avec le vote du Congrès en juillet s'ouvrait un grand chantier dont toute le monde ignorait ce qu'il allait précisément permettre d'édifier.

Au-delà de la réforme, comptaient bien plus le cheminement législatif, la mise en mots, la traduction normative qui devaient suivre. Dans la manière de conduire ce chantier, le gouvernement pouvait indiquer clairement où se trouvait ses priorités. Dans le choix du calendrier et de la méthode, il avait l'occasion de lever certaines des inquiétudes exprimées en juillet. L'exécutif pouvait démontrer à l'opposition qu'une bonne partie de ses préventions n'étaient pas justifiées et que le vote négatif à Versailles était fondée sur des craintes qui ne tenaient plus. Ce choix, qui sur le seul plan tactique aurait été judicieux, n'est pas celui qu'a fait le gouvernement. Bien au contraire, au lieu de commencer par le dépôt de projets de lois organiques portant par exemple sur la création d'un référendum d'initiative populaire ou sur la création d'un Défenseur des droits, le gouvernement choisit d'entamer son « chantier » par deux lois organiques dont chacun pourra apprécier l'urgence et l'opportunité : l'une permettant le retour des ministres au Parlement, l'autre relative au redécoupage électoral...

S'il fallait une confirmation des craintes exprimées par l'opposition en juillet, une validation a posteriori de son vote, l'examen de ces premières lois organiques valaient mieux que de longs discours. Les priorités de l'exécutif étaient désormais clairement connues ; un constat s'imposait, la revalorisation du Parlement n'était pas au menu...

C'est dans ce contexte particulier, qu'était adopté en Conseil des ministres le 10 décembre, le projet de loi organique « en application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution ». Nouveau pan du « mécano constitutionnel », ce projet de loi organique, dont le titre échappe naturellement à tout citoyen non titulaire d'une maîtrise de droit public, affiche et assume dès l'exposé des motifs un objectif clair : améliorer la qualité de la loi, renforcer l’efficacité du travail parlementaire et diversifier les modalités d’expression du Parlement. Mais c'est en réalité une autre phrase qui dès les premières lignes indique la vrai visée de ce texte : « La rationalisation des conditions d’exercice du droit d’amendement est une attente forte et ancienne ».

Le projet de loi organique révèle dans cette seule phrase toute son ambition : faire taire le Parlement, faire en sorte qu'il ne soit plus ce lieu où l'on délibère. Qu'on en finisse avec ce lieu où l'on parle ! A grand renfort d'articles de presse, de vidéos détournées et de chiffres erronés, l'exécutif appuyé par sa majorité parlementaire, a préparé les esprits en menant une puissante campagne de communication. L'idée centrale en était simple et redoutable, tant il est vrai que l'antiparlementarisme demeure latent dans notre pays ; le Parlement souffrirait d'un mal absolu et récurrent nommé « obstruction ».

L'opposition mènerait de manière systématique et sans aucun discernement depuis le début de la XIIIème législature des opérations dite de « guérilla parlementaire ». Pour l'exécutif, il y a là un dévoiement de nos institutions ; le temps serait venu de couper court à ce travail de sape, de rétablir enfin l'institution parlementaire dans sa dignité ! L'argumentaire a été développé à l'envi pendant des jours et des jours par les chevaux-légers de l'Ump d'abord, puis par le Président de l'Assemblée nationale lui-même, enfin par les membres du gouvernement. On montra du doigt ici l'attitude irresponsable de l'opposition sur le travail du dimanche, là le supposé acharnement sur l'audiovisuel public...Côté UMP, on battit même sa propre coulpe en reconnaissant avoir pratiqué en son temps l'obstruction parlementaire pour mieux appeler de ses voeux la construction d'un Parlement du XXIème siècle dans une sorte de dépassement collectif et sublime...

En réalité, ce déploiement d'énergies en amont du texte, ne visait qu'à conditionner les esprits à l'acceptation d'une régression démocratqiue majeure, entièrement contenue ou presque à l'article 13 du projet de loi organique. Celui-ci dispose que désormais : « Les règlements des assemblées peuvent, s’ils instituent une procédure impartissant des délais pour l’examen d’un texte, déterminer les conditions dans lesquelles les amendements déposés par les membres du Parlement peuvent être mis aux voix sans discussion ». Cet article remet en cause le droit constitutionnel, individuellement reconnu à chaque parlementaire, d'amender librement les textes de loi. En outre, il condamne à un mutisme forcé, les représentants du peuple, élus au suffrage universel, une fois épuisé le crédit-temps alloué à leur groupe parlementaire.

On le comprend, l'article 13 est un bâillon sur la bouche des parlementaires...Ce « temps guillotine », s'il devait être adopté, introduirait une transformation considérable du rôle des chambres parlementaires, les cantonnant à un rôle d'avaliseurs des projets gouvernementaux.

La philosophie générale de ce projet de loi organique se révèle pleinement dans cet article 13. Quelle est-elle finalement cette philosophie, sinon une toute nouvelle manière d'écrire et de penser la loi ? Dans l'esprit du Président de la République, véritable architecte et commanditaire de cette réforme, la loi s'écrit dans les cabinets ministériels et le Parlement ne fait plus que l'enregistrer. Finalement, la norme change de fonction ; elle s'écrit vite, s'inscrit dans le temps médiatique, répond à l'émotion, colle au moment. Pour Nicolas Sarkozy, la loi est une réponse, et non une solution.

L'article 13 est donc autant un bâillonnement, qu'une renonciation. Le choix de lois de circonstance, votées au terme de délibérations écourtées, c'est en effet la renonciation aux lois de qualité. Qu'on veuille bien seulement se rappeler qu'en 1905, la loi sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat fut adoptée après deux ans de travail en commission et neuf mois de débats à la Chambre puis au Sénat...Qui oserait soutenir aujourd'hui que ces débats et la loi en résultant ont été inutiles ?

En définitive, en dépit des sorties médiatiques tonitruantes sur la supposée « obstruction parlementaire », ce projet de loi organique s'avère tout à la fois inutile, trompeur et dangereux.

Inutile si l'on veut bien se rappeler que depuis 18 mois, seuls 2 textes ont dépassé la barre des 1000 amendements et qu'il n’a fallu en moyenne que 2 jours pour que le Gouvernement fasse adopter ses projets de lois à l’Assemblée nationale...L'obstruction n'a jamais empêché l'adoption d'un seul projet de loi ; l'exécutif disposant de tous les moyens nécessaires pour écourter les débats avec pas moins de 5 articles de la Constitution à sa disposition (40,41, 45, 44-3 et 49-3). Dernière preuve de cette capacité de contrainte exorbitante laissée au gouvernement et à la majorité, plus d'un millier d'amendements ont été jugés irrecevables le mardi 13 janvier et n'ont donc pu être ni examinés ni défendus en séance publique...

Trompeur ensuite, car l'exécutif est en fait le seul et unique responsable du retard de ses politiques en même temps que de l'obstruction du travail des assemblées! Plus de 70 lois ont été votées depuis le début de la législature, et le Sénat vient récemment de révéler que leur taux de mise en oeuvre (l'ensemble des décrets d'application) n'étaient que de...24%.

Dangereux enfin, tant l'on sait l'importance en démocratie de garantir un certain équilibre des pouvoir, tant il est vrai aussi, que ce projet de loi organique s'intègre dans un contexte général inquiétant où depuis plusieurs mois, la presse et la Justice font l'objet de pressions, laissant accroire que l'on cherche à éteindre un à un dans notre pays tous les foyers de critique.

Inutile, trompeur, dangereux, ce projet de loi organique intervient dans un contexte de crise économique et sociale. Le risque est donc grand que la bataille parlementaire engagée dès le 7 janvier en Commission ne passionne guère les Français. Et pourtant se joue là une bataille décisive pour l'avenir. Avec ce texte d'apparence technique, destiné en réalité à « mater » l'opposition au sein des assemblées élues, le gouvernement prend le risque de renvoyer l'expression des conflits à l'extérieur des hémicycles. Faute de « soupape parlementaire », il prend le risque de faire de la rue la place forte de l'opposition au pouvoir exécutif. C'est prendre un risque considérable.





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