14.1.10

Critique de livre - La France du travail


Esprit critique n°95 (décembre 2009-janvier 2010)
http://www.jean-jaures.org/



« Ouvrir quelques failles dans la chape des idées reçues ».



La France du travail propose en six chapitres une description fine du paysage économique et social français, tel qu'il s'est façonné historiquement et tel qu'il est aujourd'hui. Politiques de l'emploi, inégalités salariales, protection sociale, mutations du travail, restructurations d'entreprises et conception des relations sociales et professionnelles sont successivement passées au crible. Cette analyse critique, extrêmement documentée, nourrie des statistiques françaises et européennes les plus actualisées, parvient parfaitement à l'objectif pourtant ambitieux qu'elle s'était assignée ; permettre de penser autrement le champ économique et social, ouvrir quelques failles dans la chape des idées reçues.

L'emploi est au coeur du premier chapitre. Ce choix n'est évidemment pas neutre. La compréhension des logiques à l'oeuvre en matière de politique salariale, de coût du travail, de qualité de l'emploi, de segmentation du marché du travail, de statuts, de protections par l'emploi, offre déjà une vision complète de grandes options idéologiques et politiques que l'on retrouvera ensuite plus ou moins à l'identique dans toutes les autres dimensions du monde du travail. L'emploi est désormais émietté ; il ne correspond ni à une norme unique ni ne permet plus l'accès à un statut précis et stabilisé. L'emploi renvoie désormais à des degrés divers de sécurité. Globalement, en même temps qu'il est devenu une denrée rare, il a perdu de sa qualité. La lutte contre le chômage à partir des années 1985-95 a conduit à privilégier des approches en termes de coût du travail et à multiplier les types de contrats de travail. Mais cette recherche de « flexibilité » n'a pas apporté de réponse efficace au chômage de masse comme le démontre sa progression quasi continue depuis un quart de siècle. Elle a en revanche constitué un élément important dans la dégradation de la qualité des emplois et du niveau de protection auxquels ils donnent droit.

Une première idée reçue est donc habilement déconstruite dans ce chapitre ; moins de protection dans l'emploi et plus de flexibilité des contrats de travail n'encouragent pas la création d'emplois. Les résultats sont objectivement si décevants en matière de créations d'emplois qu'ils ont conduit relativement récemment à s'interroger sur la pertinence de la solution « flexibilité du travail » et à réfléchir à la construction d'une « flexisécurité », associant flexibilité des contrats de travail et sécurisation des parcours individuels, valable y compris en dehors des périodes d'emplois. Mais la flexisécurité, telle qu'elle est conçue aujourd'hui ressemble à une tentative impossible de conciliation entre des conceptions contradictoires, une tentative impossible de découplage entre emploi et protections.

Conclusion intéressante à ce chapitre 1, les auteurs mettent en garde contre une conception de la « flexisécurité » qui entérinerait finalement une tendance déjà en cours, à savoir la déresponsabilisation collective vis-à-vis de l'emploi. A cette orientation, ils préfèrent opposer et promouvoir un mélange de solutions. La réduction du temps de travail, la régulation collective des besoins en emploi, et la construction de normes d'emploi de qualité constituent selon eux « une voie crédible de sortie du chômage ».



Au-delà de ce chapitre introductif consacré aux politiques de l'emploi, la France du travail présente une France en tension et en déséquilibre.

Les conséquences sociales de la rigueur salariale (chapitre 2) sont à la fois de plus en plus aisément observables et difficiles à vivre pour les personnes concernées. Le pouvoir d'achat du salaire net moyen a augmenté de 0,5 % entre 1978 et 2006. Pourtant, dans le même temps la croissance des gains de productivité est resté chaque année de l'ordre de 1,5 à 2%. Ces trente dernières années sont ainsi résumées : « la croissance économique a davantage bénéficié à d'autres catégories de revenus que les salaires, en particulier les revenus de la propriété ». L'illustration la meilleure de ce glissement, principale cause du creusement continue des inégalités sociales en France, est sans aucun doute l'évolution de la structure du revenu disponible des ménages depuis 1949. La part que constitue le salaire net est en 2006 exactement la même que celle qu'il représentait 60 ans plus tôt, quand la part des revenus de la propriété est elle passée de 8,8% à 21,2% ! La « Fance qui se lève tôt » a été la grande perdante de la rigueur salariale. Ce sont en effet les Français dont les revenus étaient les plus étroitement liés à leur activité salariée, les Français les plus directement dépendants des revenus tirés de leur travail, qui ont subi les conséquences les plus négatives de la rigueur salariale. A cette première ligne de fracture au sein de la société française, sont venues s'ajouter d'autres lignes de fracture directement corrélées à la première : locataire/propriétaire, salariés de petites entreprises/salariés de grandes entreprises, etc.

Le « modèle social français » parvient tant bien que mal à faire tenir l'édifice social ; sa survie doit beaucoup à l'existence des prestations sociales (chapitre 3). Elles ont une fonction dite contra-cyclique. Cela signifie notamment, qu'en période de récession économique, elles jouent le rôle de stabilisateurs économiques, atténuant les effets négatifs de la crise sur le conditions de vie. Cette fonction économique reconnue, actuellement observable alors que nous connaissons une crise économique majeure, ne peut jouer qu'à la condition de ne pas faire le choix d'une approche trop restrictive des prestations sociales en période de croissance économique. C'est ainsi une autre idée reçue sur la France du travail qui doit être levée ; plus on restreint le champ et le niveau des prestations sociales, plus on annihile leur fonction d'amortisseur social et économique en cas de crise. Lorsqu'on sait l'importance de la consommation des ménages dans la structure de la croissance du PIB français, on peut comprendre le rôle économique, et non plus seulement social, joué par les prestations sociales...

Pourtant, le constat dressé est bien celui d'une protection globale face aux risques en recul ; le taux de remplacement (ratio retraites/salaires) baisse tandis qu'augmente le nombre de retraités, le déremboursement des dépenses de soins se multiplie tandis qu'un nombre croissant de Français n'ont pas de complémentaire santé. Si l'on veut bien avoir en tête que 80% des dépenses de protection sociale concernent la vieillesse ou la maladie, on comprend mieux les défis posés à la protection sociale. L'idée de construire un « Etat d'investissement social », tel que l'ont par exemple proposé récemment Jacques Delors et Marc Dollé dans leur ouvrage Investir dans le social1, ne saurait constituer une perspective sérieuse que sous certaines conditions. Un tel projet serait voué à l'échec et resterait au rang des politiques incantatoires s'il ne devait selon les auteurs, ne pas remettre en cause « le dogme de l'impossible augmentation des cotisations sociales et/ou impôts directs ». Les chercheurs de l'IRES posent ainsi clairement les conditions d'un Etat préventif efficace sur le plan social ; pour dépasser le stade du voeu pieu, il faudrait dans le même temps augmenter la fiscalité sur le patrimoine, concevoir une nouvelle fiscalité, notamment sur les revenus, accepter un investissement massif dans l'Education nationale, la formation et l'emploi. Sacré programme !


Les trois derniers chapitres (4,5,6) traitent des mutations du travail, des restructurations d'entreprise et de l'état des relations sociales. Plusieurs considérations méritent qu'on s'y arrête, nous nous contenterons de quelques remarques par chapitre.

La réduction du temps de travail est un élément majeur pour comprendre les dernières mutations du monde du travail. Plusieurs idées reçues sont pour le moins rudoyées... Par exemple, le volume d'heures travaillées serait inférieure en France à ce qu'il est chez ses voisins. C'est faux puisque la durée annuelle effectivement travaillée en France est de 1457 heures en 2007, contre 1353 en Allemagne et 1336 aux Pays-Bas par exemple. La durée hebdomadaire du travail est autour de 37,5 heures en France, si l'on prend en compte le total des emplois, elle est de 36,5h au Royaume-Uni et autour de 35h en Allemagne...Ces différences s'expliquent essentiellement par le recours beaucoup plus développés chez nos voisins européens au temps partiel, voire très partiel. Mais la réduction du temps de travail a tout de même eu un impact certain sur la pénibilité du travail et le stress, notamment parce qu'elle a servi de cadre à une intensification du travail. Au-delà du temps de travail, ce chapitre montre avec précision que le travail a changé en profondeur, et en quelques années, sous l'effet de trois facteurs essentiels : l'organisation de la production, les nouvelles technologies et enfin les méthodes et outils de gestion. Globalement, la « modernisation » des modes d'organisation a abouti à une situation paradoxale, remarquablement formulée par les auteurs ; d'un côté, on a encouragé l'autonomie et la responsabilisation croissante des individus, de l'autre, jamais la subordination au travail n'a été aussi forte (temps partiel contraint, amplitude horaire, adhésion aux valeurs de l'entreprise exigée..).

Dans le chapitre 5, les chercheurs de l'IRES s'intéressent aux restructurations d'entreprise et à l'évolution du dispositif légal qui les encadre. Outre les rappels utiles sur ce qu'implique par exemple la mise en place du Plan de sauvegarde de l'emploi pour les employeurs, on comprend plus largement ici l'origine des choix opérés par certaines entreprises en matière d'emploi. Le régime légal du licenciement économique, jugé trop lourd et complexe, les conduit de plus en plus à privilégier d'un côté les embauches en CDD et de l'autre, les licenciements pour motifs personnels. Confronté à la multiplication des restructurations, le législateur a tenté de s'adapter en encourageant les possibilités d'anticipation et de négociation au sein de l'entreprise. Par la loi, on a progressivement tenté de promouvoir un nouveau mode de gestion des restructurations, de créer les condition d'un dialogue social. Dans ce nouveau cadre, le rôle des organisations syndicales est devenue complexe. Celles-ci courent de plus en plus le risque d'être jugées corresponsables de la décision de restructuration si elles signent en amont un accord portant par exemple sur des mesures de départs volontaires. Les séquestrations récentes de dirigeants d'entreprises ou de simples cadres ont montré qu'en matière de droit négocié des restructurations, une marge importante de progrès existait encore... Une idée est ici suggérée par les auteurs de ce chapitre 5 : sortir les restructurations de la seule entreprise pour ne pas enfermer les syndicats dans des combats trop isolés, locaux, et pour ne pas permettre non plus aux actionnaires éventuels de mettre une pression trop importante sur les dirigeants de l'entreprise. Pour y parvenir, il est proposé d'élargir chaque fois que possible le dialogue social au niveau de tout un territoire, d'un secteur d'activité ou même au niveau européen. Depuis 2000, des expériences de ce type, avec un dialogue au niveau européen de tout un secteur, notamment dans l'automobile, ont déjà eu lieu.

Enfin, le dernier chapitre, est consacré aux relations sociales. Il est particulièrement intéressant de lire la mise en perspective historique proposée par les auteurs de ce chapitre ; à travers plusieurs exemples concrets, on dessine une France caractérisée par l'omniprésence de l'Etat, une relative atonie syndicale et la découverte tardive de la négociation collective, elle-même très dépendante d'ailleurs de l'intervention des pouvoirs publics. On lira surtout ici une description de l'évolution législative en matière de dialogue social et d'encadrement de la négociation collective, et la tentation récente et critiquable, notamment traduite dans la loi du 20 août 2008, d'encourager les dérogations aux accords de branches, entreprises par entreprises. Ce dernier chapitre est également l'occasion d'interroger le rôle des organisations syndicales. Améliorer la représentativité en la fondant sur l'élection ne suffira pas, car c'est bien la manière dont sont conçues les négociations nationales qui aujourd'hui posent question. Ces négociations continuent de faire des organisations syndicales de simples adaptateurs, des accompagnateurs des politiques publiques, bien plus que des co-acteurs. Au-delà donc des questions souvent mises en avant de la représentativité et du taux de syndicalisation (autour de 8%), se pose aujourd'hui la question de la capacité à peser des organisations syndicales. Celles-ci devront concevoir des stratégies nouvelles, accepter de se regrouper, sans doute réfléchir à la manière de bâtir des «alliances offensives » et non plus seulement défensives.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Infatuation casinos? be attractive to to this environmental [url=http://www.realcazinoz.com]casino[/url] advisor and in online casino games like slots, blackjack, roulette, baccarat and more at www.realcazinoz.com .
you can also continue without from our redesigned [url=http://freecasinogames2010.webs.com]casino[/url] manage at http://freecasinogames2010.webs.com and rally certify folding shin-plasters !
another late-model [url=http://www.ttittancasino.com]casino spiele[/url] consort with is www.ttittancasino.com , in ignoramus around uphold german gamblers, inadvertence in manumitted online casino bonus.

Anonyme a dit…

prefect a substitute alternatively of all to effort revealed this without convey in or requisite [url=http://www.casinoapart.com]casino[/url] in at the outwit [url=http://www.casinoapart.com]online casino[/url] signal with 10's of … la account [url=http://www.casinoapart.com]online casinos[/url]. thrown away [url=http://www.casinoapart.com/articles/play-roulette.html]roulette[/url], [url=http://www.casinoapart.com/articles/play-slots.html]slots[/url] and [url=http://www.casinoapart.com/articles/play-baccarat.html]baccarat[/url] at this [url=http://www.casinoapart.com/articles/no-deposit-casinos.html]no amassing casino[/url] , www.casinoapart.com
the finest [url=http://de.casinoapart.com]casino[/url] with a halt UK, german and all to the world. so in luck out a units of the cork [url=http://es.casinoapart.com]casino en linea[/url] discontinuity us now.