9.11.07

Les élites parlent aux élites

En 1938, l'immobilisme français face au drame civil espagnol faisait écrire à George Bernanos : « On ne refera pas la France par les élites, on la refera par la base ».Bizarrement ces mots prononcés pourtant dans un contexte bien différent, je les ai à l'esprit en refermant Les nouvelles élites. Le choix du sujet, de l'enquête menée par Fouks et ses troupes, est en soi un motif de questionnement. Comprend-on encore la France par ses élites ? L'ouvrage ne traite pas ou peu de cette question préalable. Pour autant, elle ne peut manquer de surgir dans l'esprit de celui qui le lit. La question des élites est une question piégée, difficile. Sont-ce encore elles qui font et qui feront la France ? Peut-on parler d'une « génération du pouvoir », comme le fait Fouks d'entrée de jeu ou presque ? Est-ce aussi clair ?

Jean Baudrillard, dont il faut bien admettre que les excès ne sauraient discréditer définitivement toute l'oeuvre, a écrit sur le sujet quelques lignes intéressantes : « On peut avoir une réaction viscérale, anti-masse, anti-beauf, anti-France profonde. Mais une réaction tout aussi viscérale anti-élite, anti-caste, anti-culture, anti-nomenklature. Faut-il être du côté des masses débiles ou des privilégiés arrogants (surtout lorsqu'ils font allégeance aux masses) ? Il n'y a pas de solution. Nous sommes pris entre deux intégrismes : l'un populiste et l'autre libéral, élitaire, celui de l'universel et de la démocratie forcée ». La vision est sans doute par trop manichéenne, abrupte. Mais il reste qu'étudier les élites, c'est dès le départ une forme de parti pris assumé. C'est à la fois le choix d'un objet d'étude et d'une « focale ». Et pour tout dire, je trouve salutaire de réinvestir comme le fait Fouks, le thème des élites. Salutaire de comprendre qui sont ces décideurs d'un genre nouveau, désireuses de reconnaissance, de responsabilité, d'action, de collectif, de bonheur.

Tel que Fouks nous les présente, ces élites sont déroutantes. D'abord parce qu'il ne s'agit pas d'une génération spontanée, s'assumant naturellement comme génération de pouvoir ; c'est d'abord et avant tout une génération modeste, une génération qui s'ignore. Déroutantes aussi parce que jamais des élites, celles qui ont 30-45 ans aujourd'hui, n'auront manifesté une telle envie de faire. Non plus de re-faire ou de défaire comme ce fut la tentation de leurs aînés, mais bien l'envie de faire et d'assumer leurs actions. Alimentée de nombreux entretiens individuels, « nourrie » aux études qualitatives, la réflexion de Stéphane Fouks dresse au final un portrait juste parfois, avantageux le plus souvent, des nouvelles élites. Trop longtemps tenues à l'écart du pouvoir par la génération post soixante-huit, elles se caractériseraient par leur volonté d'agir et de transmettre. A la génération des assoiffés de pouvoir, de réussite et d'individualisme, aurait succédé une génération soucieuse de promouvoir la responsabilité, l'épanouissement et la co-action. Voici venu en quelque sorte le temps des élites bienveillantes et philanthropes.

Cette contribution à la réflexion sur les nouvelles élites françaises est bienvenue et opportune au moment où s'opère une passation des pouvoirs politiques, économiques et médiatiques entre générations. Il est intéressant de montrer comme le fait l'ouvrage, ces deux générations qui se succèdent, qui ont travaillé ensemble et qui ne partagent plus ni les mêmes usages ni le même rapport au pouvoir. Mais l'exercice auquel se livre Fouks contient en lui-même ses propres limites ; le portrait-type a ses contraintes induites. La tendance à la simplification, la tentation de la caricature sont rarement loin. On a le sentiment d'assister à l'avènement sous nos yeux d'une génération un peu trop belle pour être tout à fait vraie, et finalement le sentiment aussi que le portrait d'une génération qui s'ignore est en fait le portrait d'une génération qui n'existe que sous la plume de Stéphane Fouks.

Pourquoi ce sentiment désagréable d'une « ficelle un peu grosse » et d'un manque de nuance dans le portrait qui nous est dressé des nouveaux décideurs ? Deux impressions de lecture peuvent être proposées comme éléments de réponse.
D'abord l'impression que l'on nous rejoue en partie au fil des pages, le très vieux coup des Anciens contre les Modernes. Mauvaise génération de vieux « cons » d'un côté, égoïste, individualiste, castratrice contre génération pleine de fraîcheur de l'autre, forte de vertus comme le partage, le sens de l'engagement, de la responsabilité. Une génération de « repus » ferait obstacle à l'éclosion d'une génération nouvelle, active et ambitieuse. Est-ce un roman ou une étude ?
Ensuite, on ne peut manquer en lisant Les nouvelles élites d'avoir à l'esprit son auteur. Qui nous parle des élites ? Un lobbyiste, un communicant, un homme d'influence. Il n'y a là rien d'invalidant, mais pour le lecteur un regard distancié à conserver. Fouks décrit un monde qu'il connait, qu'il côtoie, qui l'intéresse. C'est à la fois grâce à cela que son étude est à lire mais c'est aussi à cause de cela qu'elle est nécessairement à relativiser dans ses conclusions. Nous sommes ici dans un monde clos, endogame. Un monde qui s'étudie aussi justement et aussi habilement qu'il le peut.

Les élites parlent des élites...aux élites.

1 commentaire:

K. von Gibus a dit…

"Jean Baudrillard, dont il faut bien admettre que les excès ne sauraient discréditer définitivement toute l'oeuvre," les excès, quels sont-ils? Je suis curieux de vous les entendre dire.
Il a une analyse intéressnate d ela société de consommation, qui à mon avis peut être catalysé dans une vision réformiste. Il a inspiré Ph. Muray, qui tout au long de son oeuvre en a fait du petit miel.