13.12.07

Enfermer les monstres


Début janvier l'Assemblée nationale va examiner le projet de loi "Rétention de sûreté et déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental". Pour tous les passionnés de droit et de sciences fiction, ce texte est à regarder de près. Rachida Dati continue de développer, avec l'appui du Président Sarkozy, une vision du droit absolument terrifiante. La Garde des Sceaux déconstruit les grands principes de notre droit pénal en invoquant tour à tour l'affaire Outreau, les drames récents du RER D ou l'affaire Romain Dupuy, avec comme moteur unique à toutes ses réformes, l'émotion.Or le droit, s'il ne peut bien évidemment ignoré l'opinion, la société dans laquelle il s'écrit, doit être aussi un droit protecteur face à l'opinion commune.

De quoi s'agit t-il ici ? Principalement de prévoir pour les personnes condamnées pour crimes sur mineurs, en particulier de nature sexuelle, la possibilité d'une "rétention de sureté" à l'issue de leur peine de prison. Cette rétention sera décidée par une commission de psychatres appelés à se prononcer sur la... "dangerosité" de la personne.
Ce texte pose 3 problèmes :
1/ Aucun Etat de droit au monde ne juge une personne sur ce qu'il est supposé pouvoir faire à l'avenir. L'enfermement est toujours la réponse à la commission d'actes criminels ou délictueux avérés ou prouvés.
2/ Comment ne pas voir la profonde ambiguité du terme "dangerosité" ? Par définition, un criminel ayant tué, souffrant de troubles mentaux, est potentiellement dangereux. Il l'est sans doute encore plus, après 5 ans d'enfermement sans réel suivi socio-médical.
3/ Aucun psychatre, aucune commission d'experts, ne prendra le risque de déclarer la "non dangerosité" d'un détenu condamné pour crime, psychotique ou psychopathe, même si celui-ci a suivi des soins durant plusieurs années et montré une réelle aptitude à la réinsertion. Les psychtres, pointés du doigt dans de nombreuses affaires récentes, choisiront toujours de se couvrir et déclareront qu'"un risque de récidive, même faible, n'est jamais totalement à écarter..."
Ce que prépare ce projet de loi, c'est tout simplement la prison après la prison. Après avoir purgé sa peine, souvent longue, après avoir "payé sa dette à la société", le détenu, parce qu'il est malade, se verra ajouter une autre peine.
Pire encore, et vous l'aurez certainement compris, ce que ce texte cache en fait, c'est le rétablissement de la peine à perpétuité sans sortie possible.

Parce que l'émotion le commande, parce que l'opinion le réclame, Rachida Dati s'apprête à mettre à mal plusieurs principes fondamentaux de notre droit pénal. Le principe de précaution doit pouvoir s'exercer à l'encontre d'individus dangereux pour la société mais la méthode retenue par la Garde des Sceaux n'est ni réfléchie ni acceptable humainement.

Le groupe socialiste à l'Assemblée se battra sur ce texte début janvier pour faire prévaloir une autre vision de la justice. Elle proposera notamment la mise en place d'une commission plurisdiciplinaire qui pourra, durant quelques semaines, faire un diagnostic complet de la personne jugée. Ce diagnostic pourrait intervenir avant la sentence de la Cour d'assise et permettrait de prévoir dès le moment de la décision de justice, une obligation de suivi thérapeutique dès le premier jour d'incarcération. Le Danemark, la Hollande et l'Allemagne l'ont fait.

La gauche n'est pas l'ennemi des victimes en matière de justice, comme la droite aime souvent à nous présenter. Mais condamner les gens à perpétuité,à l'issue d'une peine longue, sur le seul critère de la dangerosité, n'est pas conforme à l'idée que nous nous faisons de la justice.

1 commentaire:

Nicolas Vignolles a dit…

La prison après la peine, par Robert Badinter
LE MONDE | 27.11.07 | 12h56

e façon anodine, le gouvernement va saisir le Parlement d'un projet de loi créant la "rétention de sûreté" dans notre droit pénal. Il s'agit d'un changement profond d'orientation de notre justice. Il faut rappeler les fondements de la justice, depuis la révolution des Droits de l'homme. Parce que tout être humain est réputé doué de raison, il est déclaré responsable de ses actes. S'il viole la loi, il doit en répondre devant des juges indépendants. A l'issue d'un procès public, où les droits de la défense auront été respectés, s'il est déclaré coupable, il devra purger une peine prévue par la loi. Tels sont les impératifs de la justice dans un Etat fondé sur la liberté.

Or le projet de loi contourne le roc de ces principes. Il ne s'agira plus seulement pour le juge, gardien de nos libertés individuelles, de constater une infraction et de prononcer une peine contre son auteur. Après l'achèvement de sa peine, après avoir "payé sa dette à la société", au lieu d'être libéré, le condamné pourra être "retenu", placé dans un "centre sociomédico-judiciaire de sûreté", par une décision d'une commission de magistrats pour une durée d'une année, renouvelable, parce qu'il présenterait selon des experts une "particulière dangerosité" entraînant un risque élevé de récidive.

Le lien entre une infraction commise et l'emprisonnement de son auteur disparaît. Le "retenu" sera détenu dans un établissement fermé et sécurisé, en fonction d'une "dangerosité" décelée par des psychiatres et prise en compte par une commission spécialisée. Et aussi longtemps que ce diagnostic subsistera, il pourra être retenu dans cette prison-hôpital ou hôpital-prison. Nous quittons la réalité des faits (le crime commis) pour la plasticité des hypothèses (le crime virtuel qui pourrait être commis par cet homme "dangereux").

Aujourd'hui, le juge se fonde sur la personnalité du condamné pour décider de libération conditionnelle, de semi-liberté, de placement à l'extérieur, de permission de sortie. Mais il s'agit là toujours de mesures prises dans le cadre de l'exécution de la peine, pour préparer la sortie du condamné, parce qu'elles facilitent la réinsertion et limitent la récidive, comme une expérience séculaire a permis de l'établir. Dans la mesure qui nous est proposée, il s'agit au contraire de retenir le condamné "dangereux" après sa peine dans une prison particulière pour prévenir tout risque de récidive. Il ne suffit plus, estime-t-on, d'imposer au condamné après sa libération les mesures très rigoureuses de contrôle, de surveillance, de traitement de plus en plus contraignantes que les lois successives ont multipliées dans la dernière décennie : suivi socio-judiciaire avec injonction de soins (1998), surveillance judiciaire (2003), fichier judiciaire avec obligation de se présenter à la police (2004), surveillance électronique par bracelet mobile (2005).

Depuis dix années, quand un fait divers particulièrement odieux suscite l'indignation du public, on durcit les peines et on accroît les rigueurs des contrôles. Mais jusqu'à présent on a toujours respecté le principe de la responsabilité pénale. C'est la violation des obligations du contrôle par celui qui y est astreint qui entraîne à nouveau son incarcération. C'est l'infraction qu'il commet en manquant à ses obligations qui le ramène en détention.

Avec la loi nouvelle, le lien est rompu : il n'y a plus d'infraction commise, mais un diagnostic psychiatrique de "dangerosité", d'une prédisposition innée ou acquise à commettre des crimes. Que reste-t-il de la présomption d'innocence dans un tel système ? Après un siècle, nous voyons réapparaître le spectre de "l'homme dangereux" des positivistes italiens Lombroso et Ferri, et la conception d'un appareil judiciaire voué à diagnostiquer et traiter la dangerosité pénale. On sait à quelles dérives funestes cette approche a conduit le système répressif des Etats totalitaires.

On dira que le texte ne prévoit cette "rétention de sûreté" que pour des criminels particulièrement odieux, pédophiles, violeurs, meurtriers, agresseurs de mineurs, condamnés au moins à quinze ans de réclusion criminelle. On soulignera que le texte exige que la mesure soit demandée par une commission pluridisciplinaire et décidée par des magistrats. Des voies de recours en appel et cassation sont prévues. On marquera que la rétention ne sera ordonnée qu'au vu d'expertises psychiatriques sur la dangerosité du sujet. Est-il besoin de rappeler que ce concept de dangerosité demeure incertain dans sa mise en oeuvre ? Et l'expérience des dernières années laisse présager qu'au premier fait divers odieux, échappant aux catégories criminelles visées par la "rétention de sûreté", celle-ci sera aussitôt élargie à tous les auteurs des crimes les plus graves, qu'il s'agisse de violeurs ou de meurtriers. Et l'on verra s'accroître toujours plus le domaine d'une "justice" de sûreté, au détriment d'une justice de responsabilité, garante de la liberté individuelle.

Pour ceux auxquels elle sera applicable, qu'impliquera cette rétention de sûreté s'ajoutant à la peine déjà purgée ? Tout condamné ressasse jusqu'à l'obsession le nombre d'années, de mois, de jours qui le séparent de sa libération. Quand il a accompli sa peine, payé sa dette à la société, il a conscience d'avoir droit à cette libération. Et voici que par l'effet de la loi nouvelle, cette certitude-là vacille et s'éteint. Il n'y aura plus pour lui d'assurance de retrouver sa liberté après avoir purgé sa condamnation. Sa liberté, même s'il s'est bien comporté en prison, ne dépendra plus de l'achèvement de sa peine, elle sera soumise à l'appréciation de psychiatres et d'experts qui concluront ou non qu'il est atteint d'une affection particulière, la "dangerosité sociale".

Et les juges gardiens de la liberté individuelle, au nom du principe de précaution sociale, pourront le maintenir en détention après sa peine. Pour cet homme-là, quelle incitation à préparer, en détention, son avenir ? A l'attente, on ajoutera l'angoisse de l'incertitude. Notre justice aura changé de boussole. Ce n'est plus la loi qui la guidera, mais des batteries de tests psychiatriques inspireront ses décisions. Quant à l'homme réputé dangereux, il ne lui restera pour toute espérance que celle d'un diagnostic nouveau qui ne dépendra pas nécessairement de son comportement conscient.

Aujourd'hui, le criminel sexuel, surtout pédophile, est volontiers dépeint comme le mal absolu, le monstre qui hante nos angoisses et nos peurs. S'agissant de ceux auxquels sera applicable cette "rétention de sûreté", le mot qui vient à l'esprit pour les qualifier est celui de Victor Hugo : ce sont des "misérables" que notre justice psychiatrisée fabriquera demain dans nos prisons.