7.7.08

Du dépit amoureux


Le responsable politique est le mal aimé chronique d'une société éclatée. Ma conviction, c'est que l'individu a certes son projet dans l'entreprise, mais ses demandes de collectif, de solidarité, de reconnaissance sociale, de progrès, de rêves, c'est plus que jamais dans la Cité qu'il les espère, et au politique qu'il les adresse.

On compare trop souvent autour de moi deux fractures ; celle touchant les élites économiques et celles touchant le politique. C'est une erreur car le salarié et le citoyen ne formule ni les mêmes espoirs ni les mêmes exigences à leur égard.
Entre l'entreprise et la collectivité publique, entre le chef d'entreprise et le politique, le challenge n'est pas de même nature. La déception n'est donc pas de même ampleur. Les Français préfèrent le chef d'entreprise au responsable politique. Mais s'ils ont plus confiance dans le premier, ils attendent plus du second.

ANALYSE RAPIDE

De nombreux éléments d'appoints seraient nécessaires pour éclairer correctement un débat plus vaste et plus complexe que les fragments d'analyse proposés ici. Toutefois, un regard rapide sur les enquêtes d'opinions récentes permet de percevoir une première réalité ; en Europe (voir Eurostat des 5 dernières années), en France singulièrement, les responsables politiques sont jugés globalement « beaucoup plus sévèrement » que tout autre acteur public. Au niveau institutionnel, l'Etat beaucoup plus sévèrement que l'entreprise. Dans des proportions qui n'ont absolument rien de comparable. Le jugement porté par les Français sur leurs élites politiques frappe par son intensité et son ancienneté.

Une partie de la victoire de 2007 s'explique par une juste analyse de cette situation par Nicolas Sarkozy ; les Français sont en demande de politique. Ils encouragent leurs responsables à prendre une influence accrue sur les affaires du monde, mais aussi sur les affaires intérieures. Mais ils n'attendent pas - là est l'erreur de Sarkozy - d'un responsable politique qu'il agisse en "chef d'entreprise".

Deux points plutôt que de longs développements pour comprendre la nature du divorce (1) et sa singularité (2)


1.Entre Français et élite politiques, une forme de « dépit amoureux » : "je ne t'aime plus mais reviens!"

La déception est à la hauteur de l'incroyable "demande de politique":
http://www.tns-sofres.com/etudes/pol/020408_elites_r.htm
On fait bien plus confiance à l'association et à l'entreprise privée qu'au politique :
http://www.fonda.asso.fr/PDF/sondage%20synthese%20.pdf

2.Contrairement à un discours dont l'origine partisane fait peu de doutes, relayé complaisamment par la presse depuis des années, l'entreprise est loin d'être discréditée en France.
C'est là que l'on perçoit « la victoire gramscienne » de la droite – victoire politique grâce à la domination et à la pénétration de ses idées et de sa « culture ». Le Français seraient rétifs à l'entreprise, bercés par les 35h, ennemis du capitalisme et du travail, trop attachés à l'Etat providence et à l'étatisme... Sauf que tout ceci est sinon contredit du moins à relativiser lorsqu'on jette un oeil aux enquêtes d'opinions. Mais lire une enquête, c'est long pour une presse dont le moteur est moins la vérité que la vitesse. La vérité, c'est qu'en France, même en France, pays présenté comme celui d'indécrottables grévistes – moins de jours de grèves cumulés qu'aux Etats-Unis chaque année - les dirigeants d'entreprise jouissent d'une côte de confiance bien meilleure auprès des Français que les responsables politiques.

Regard porté par les français sur le chef d'entreprise et l'entreprise :
(panachage d'instituts)


Le jugement des Français à l'égard des dirigeants économiques n'a cessé de se dégrader depuis 1985. Mais il ne devient négatif qu'autour des années 2002-2003 - les années 1985-95 constituant une forme d'apogée tant le chef d'entreprise est valorisé - et il reste par ailleurs sans commune mesure avec les résultats enregistrés pour les élites politiques, y compris lorsque la question porte sur les dirigeants de très grandes entreprises ( autour de 55% d'opinions défavorables contre 75% pour les politiques)

Évolution 1985-2002:
http://www.tns-sofres.com/etudes/corporate/040203_gouvernance.htm
En 2002
http://www.tns-sofres.com/etudes/corporate/040202_entreprise.htm
En 2003
http://csa.eu/dataset/data2003/opi20030522c.htm
En 2006
http://www.ipsos.fr/Canalipsos/articles/2000.asp

En 2008
Extrait du JDD - Politique 15/04/2008
« Sondage: Les Français apprécient leurs boss »

Une large majorité de Français, 72%, ont une bonne opinion des chefs d'entreprise mais 59% estiment qu'ils sont trop payés, selon un sondage BVA pour le magazine L'Express publié mardi. Interrogées sur les adjectifs qui s'appliquent le mieux aux patrons en général, 53% des personnes sondées choisissent "compétent", 38% "autoritaire" ou encore 13% "mauvais gestionnaire" et 10% "malhonnête". Le sondage a été réalisé par téléphone les 14 et 15 mars auprès d'un échantillon de 964 personnes réprésentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.



Une analyse lacunaire mais qui appelle de votre part réactions et compléments...

4 commentaires:

PaPhlip a dit…

Une différence notable est peut-être que le chef d'entreprise n'est pas élu. Imposé par le système, il fait parti du décor et n'est finalement remis en cause que par les actionnaires. La résilience doit faire le reste ...

Nicolas a dit…

Bien sûr que l'élection est un facteur important. Cela étant dit, comparer le désamour des dirigeants politiques et le désamour des dirigeants économiques n'est pas totalement dénués d'intérêt. Non ?

Par ailleurs, j'avoue ne pas connaître le sens du mot résilience...du moins appliqué dans le contexte qui nous intéresse.

PaPhlip a dit…

La question concernant la différence entre les différents types de dirigeants mérite bien sûr d'être posée ! C'est tout à fait factuel et tu fais bien de soulever le point.

Pour l'utilisation du terme "résilience", j'ai peut-être un peu forcé la dose (ne maitrisant pas vraiment le concept de Cyrulnik) ... je l'entendais au sens acceptation, résignation, ou plus précisément capacité à faire avec quelque chose qui peut nous sembler désagréable a priori mais dont on se sert malgré tout pour se construire et progresser. J'espère être plus clair ... mais c'est pas sur ;-)

Anonyme a dit…

Je ne sais pas si les Françaises et les Français attendent, nombreux et consciemment, cela des responsables politiques.

Par contre, je pense effectivement qu'il est de la responsabilité des responsables politiques de gauche de savoir proposer cela, un projet de société, qui permette à chacune et chacun de retrouver un rapport avec le collectif.

Nous devons être en mesure de proposer un réel discours politique, à même de retisser le lien social.

Face au discours de la droite qui a su "vendre" l'idée que la solution est la réussite individuelle, la concurrence, la remise au pas des déviants de toutes sortes, etc., nous devons "parler à l'individualisme contemporain qui est en chacune et chacun".

Et nous pouvons donner une perspective à cet individualisme, nous pouvons lui proposer un épanouissement bien plus réel, en l'articulant avec une société plus juste, une société de droits réels pour tous. Nous devons réarticuler la liberté et l'égalité.

Je trouve, ces dernières années, les travaux et propositions de DSK, Martine AUBRY et Vincent PEILLON parmi les analyses et les perspectives les plus fortes pour la gauche.